11)
Je dévisage Savage qui a l’air plus que sérieux en pointant son flingue sur moi. Il ne tira pas, je le sais autant que lui. Mais le fait est qu’il me menace et je ne suis pas sûr de bien l’encaisser. J’avance mon visage vers son flingue et pose mon front sur le canon froid.
Savage ne me quitte pas du regard comme s’il s’attendait à ce que j’agisse pour tenter de le désarmer.
Monsieur, je prends tout a la rigolade a lui aussi une limite apparemment et penser à ça me fait sourire.
— Putain Père Noël il faut que je te le mette dans le cul pour que tu l’ouvres !
— C’est l’idée que j’ai baisé hier qui te gêne ? Ou que ce ne soit pas toi que j’ai baisé ?
J’appuie un peu plus fort mon front sur le canon, Savage ne bouge pas, il se contente d’affermir sa prise sur la crosse et de me regarder. Je sens cette tension entre nous, ces foutus non-dits et ce putain de désir m’envahir alors que pourtant je devrais être en train de lui mettre une raclée pour ce qu’il a fait. Mais non, ça me fait bander. Mais je ne veux pas en discuter, je veux oublier. Oublier que je bande pour un mec qui est mon frère et que ça n’a pas lieu d’être. Je veux oublier, mais je n’y arrive pas, parce qu’il est là, parce qu’il veut en parler et parce que lui n’a pas l’air d’avoir honte de ce qu’il ressent.
Je ferme les yeux un instant, en inspirant en me disant qu’il faut que je recule, que je lui dise d’aller se faire foutre par un autre que moi, mais je ne bouge pas. Je serre les poings et rouvre les yeux pour chasser les images qui me passent par la tête, mais c’est encore pire. C’est Savage que j’ai en face de moi, ses putains de yeux verts qui ne cachent rien de ce qu’il ressent alors qu’il pointe toujours son flingue sur moi et son allure aussi bandante qu’elle ne ressemble à rien. Je lève les yeux sur lui et après avoir juré, je me redresse et me cale contre ma vitre. Hors de question de me jeter sur lui. Hors de question de nous donner ce qu’on veut tous les deux.
— On ne baisera pas Savage, tu peux me buter si tu veux, mais toi et moi on ne sera jamais rien d‘autre que des membres d’un même club. Je ne suis pas un putain de pédé et tu ferais bien de ne pas l’être toi aussi si tu veux rester en vie.
Je l’entends ricaner alors qu’il baisse son flingue. Je me fais violence pour ne pas le regarder et éviter la tentation.
— T’as pas besoin de me baiser, tu me troues le cul rien qu’avec tes conneries.
Je me tourne vers lui, je suis déjà assez agacé depuis hier pour qu’il rajoute d’autres problèmes qu’on pourrait nier. Je n’ai pas baisé hier, j’en étais incapable. Je ne pense qu’à lui et même sentir le corps d’une femme pourtant désirable ne m’a pas empêcher de penser à cet enfoiré. On doit rapidement terminer cette mission où je ne sais pas ce qu’on sera à la fin de cette histoire, mais une chose est sûre on n’en sortira pas indemne.
— Contente-toi de ça alors.
— Non, contrairement à toi je ne vais pas me défiler.
— Je ne me défile pas.
Savage se met à rire en jetant un coup d’œil à l’entrepôt où est l’italien. J’en suis à prier pour que cet enfoiré sorte de son trou et qu’on reprenne le boulot et qu’on évite cette conversation.
— Si, dit-il en se retournant vers moi l’air plus que sérieux, tu te défiles Klax, tu fais comme si rien ne s’était passé, mais ça s’est passé. C’est là entre nous. Il faut régler ce problème.
Je m’agite sur mon siège en pensant qu’il n’a pas tort, on devrait établir des bases à notre relation, savoir où l’on en est, mais non. Je ne peux pas. La honte me bloque. Ce qui est un comble quand on pense que je suis sans gène normalement, aucune barrière ne m’empêche de prendre du plaisir et aucune morale ne me casse les couilles, mais pas dans ce cas.
— T’es homo? je demande en regardant tout sauf Savage.
Si c’est le cas, il joue bien son rôle d’hétéro. Je l’ai vue plus d’une fois avec des femmes et il n’avait pas l’air de simuler son désir.
— Non, je suis bi.
Ma tête se tourne rapidement vers lui pour voir s’il se fout de moi, mais il a l’air sincère.
— Sérieusement ?
— Ouais.
— T’as déjà couché avec une femme et un homme en même temps ?
— Ouais.
— Deux hommes ?
— Ouais.
— Bordel de merde ! Mais t’es vraiment une pédale alors !
— Pas plus pédale que toi, mon frère.
Je me laisse aller sur mon siège complètement atterré par ce que j’entends et par les images qui passent dans ma tête. Un nouveau fantasme nait dans mon esprit, Savage et une femme, leurs bouches à tous les deux sur moi alors que je me demande lequel des deux je vais prendre en premier. Mon jean devient étroit alors que je me fais un porno dans ma tête.
Je secoue la tête, ce n’est pas le moment. Comme si je n’avais pas assez d’images déplacées qui concernent le tatoué qui m’accompagne.
— Passe-moi une clope, je lance en tendant la main vers Savage.
— Tu vas t’en rouler un ici ?
Je soupire, j’aimerai bien un bon joint pour me détendre, mais je me contenterai d’une clope pour le moment. Je ne peux pas prendre le risque de me faire prendre avec de la drogue pendant qu’on file l’autre enfoiré qui a décidé d’élire domicile dans ce foutu entrepôt.
— Non, juste une clope.
Savage sort son paquet et me donne une cigarette. J’enclenche l’allume-cigare en réfléchissant à ce que je viens d’apprendre de lui. Je n’arrive même pas à le regarder en sachant qu’il a déjà baisé avec un mec. Bordel ! Je me sens comme un puceau au milieu d’une orgie à ne pas savoir comment me contrôler. J’attrape l’allume-cigare et allume ma clope, la première bouffé me brule les poumons puis la nicotine s’infiltre dans mon corps et détend mes muscles.
— L’Irlande, je demande, c’est pour ça que tu es parti ?
— En quelque sorte.
— Explique-moi.
— Une autre fois.
Je me mets à rire en secouant la tête, monsieur je veux qu’on parle à tout prix se défile !
— Tu sais ce qu’on risque alors ?
Je me tourne vers lui, il me sort son sourire en coin.
— On ? Alors t’es enfin prêt à reconnaître ce qu’il y a entre nous ?
— Je ne reconnais rien du tout enfoiré, je ne suis pas homo !
— Une chose sur laquelle on est d’accord. Et ouais, je sais ce qu’on risque.
Je remue des épaules, mon cuir me manque à cet instant, une sorte de protection contre l’homosexualité. Avec lui sur le dos, je sais à qui j’appartiens et quels sont les codes à respecter.
Je tire frénétiquement sur ma clope puis j’ouvre la fenêtre pour évacuer la fumée qui commence à envahir l’espace.
— Voilà, t’as eu ta discussion, si on apprend ce que tu es et…ce que tu me fais, on est mort. Y’a pas à aller plus loin, maintenant ne me fait plus chier avec ça ou c’est moi qui sort mon flingue et je n’hésiterai pas a tiré.
— Ce que je te fais ? Qu’est-ce que je te fais Père Noël ?
— Tu m’emmerdes !
Savage allume une clope à son tour, je le regarde faire, et même s’il m’emmerde profondément je ne peux pas ignorer ce que je ressens quand je l’observe comme ça. Le désir, brut et tellement fort que ça m’en tort les tripes.
— Ça, dit-il en tournant le visage dans ma direction, c’est ça que je te fais et que tu peux tenter de nier, mais je ne suis pas aveugle Klax.
Il se penche vers moi, je ne bouge pas, comme pétrifié à l’idée de faire un geste qui en entrainerait d’autre que je ne maitriserai pas. Son visage à quelques centimètres du mien, j’arrive à sentir l’odeur de tabac qui émane de lui, il pose sa main sur mon entrejambe dur.
— Tu bandes pour moi.
Je déglutis en tentant de ne pas bouger, faire ce truc qui me démange, lever mes hanches et approfondir la sensation de sa main sur moi… et pourquoi pas me foutre à poil aussi !
Je déconne complet !
— Reconnais-le, lance Savage avec cette voix plus grave que d’habitude, et peut-être que j’arrêterai de t’emmerder.
J’ai envie de l’envoyer se faire foutre, mais sa main qui me presse un peu plus fort me donne envie de l’allonger sur son siège et de lui donner raison. J’ai envie de le sentir sous mon corps et de lui dire que je le désire à m’en déchirer le ventre, mais heureusement pour moi le mafieux a décidé de bouger son cul. Je vois du coin de l’œil du mouvement devant l’entrepôt alors qu’on se dévisage avec Savage, que le vert de ses yeux me renvoie mon désir et que je cherche à me contrôler.
— Le rital, je lance en soufflant.
Savage me relâche puis se redresse. Je démarre rapidement alors que la voiture du mafieux s’avance pour sortir du parking. J’attends quelques secondes qu’elle s‘éloigne un peu et on part à sa poursuite. Je suis dans le brouillard, j’avance en pilote automatique encore sous l’effet Savage. Et les foutues questions qui déjà étaient nombreuses dans mon esprit sont maintenant une vraie tornade que je ne peux pas fuir éternellement. J’ai besoin de réponses sur ce que je suis, avant de devenir fou. Je ne suis pas comme Savage, à ce niveau, je ne vis pas le sexe avec désinvolture et sans me demander ce qui m’attire. J’ai besoin de me rassurer et de mettre des mots sur mon état, même si ce que je pourrais découvrir irait à l’encontre de ma vie.
Maryrhage