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With You

  • Epilogue


     

     

    Cinq ans plus tard…

     

     

    Le bruit des vagues m’hypnotise. Lorsque nous étions dans notre chambre, dans le sous-sol qui nous a forgé durant notre captivé, je rêvais de rencontrer de nouveau la nature. Cette sensation de liberté.

    Maintenant, je vois l’océan comme le meilleur des confidents. Il n’y a que lui qui sait ce qu’il s’est véritablement passé il y a cinq ans, il est comme une maitresse qu’on s’appliquerait à cacher aux autres.

    C’est étrange d’apprendre à vivre sereinement. C’est étrange de s’habituer à ne plus faire de cauchemar chaque nuit, de ne plus sentir cette haine intérieure nous dévorer petit à petit.

    Réapprendre à vivre à presque trente ans a été une période difficile. On a vécu notre existence entière avec de fidèles compagnons malveillants.

    Je souris en regardant Vic courir dans le sable mouillé, après un petit bout pas plus grand que trois pommes. Elle est rayonnante et jamais je n’aurais cru voir cette expression dans son visage avec autant de vivacité.

    Ses cheveux bruns sont plus longs et ondulent légèrement. Mais son sourire, il est magnifique, elle respire la joie de vivre.

    L’organe dans ma poitrine s’emballe devant cette vision, d’elle, de son corps en maillot de bains qu’elle n’hésite plus à montrer à certaines occasions, de sa joie de vivre qui se ressent. Elle sait qu’il n’y a pas de monde à cette heure-ci sur la plage où nous allons tous les jours depuis notre déménagement sur la Côte Ouest.

     

    — Monsieur Kane ?

     

    Je sors de mes pensées, et me tourne vers l’homme qui se tient debout derrière moi, il est en costume cravate, alors que nous sommes à Los Angeles et qu’il fait plus de trente degrés.

     

    — Qui le demande ? je le questionne en fronçant les sourcils.

     

    Je retire mes lunettes de soleil pour croiser le regard de l’homme suant et qui ne semble pas acclimaté à la région. Ses yeux se posent une fraction de seconde sur les marques blanches dans mon dos, avant de reporter son attention sur moi.

    Il esquisse un fin sourire, une expression que je ne connais que trop bien auprès des journalistes et des hommes bossant pour la justice.

     

    — Disons personne, d’accord ? renchérit-il.

     

    Personne.

    Ce type bosse pour quelqu’un. Ça doit être un privé pour se montrer si discret.

     

    — Qu’est-ce que vous voulez ? je l’interroge un brin méfiant, ici c’est un coin tranquille, peu de gens savent comment le trouver.

     

    L’homme s’accroupit près de moi, je jette un coup d’œil amusé, comme si me retrouver sur une plage était la chose la plus compliquée à faire.

     

    — Un certain nombre de choses. J’ai vu que vous étiez rentré il y a peu d’Europe. Ça n’a pas été facile de vous mettre la main dessus.

     

    C’était le but.

    Après l’affaire Truman, les mois qui ont suivis ont été très compliqués, alors, lorsqu’a éclaté dans la presse sa disparition et qu’une enquête a été ouverte, nous avons été placés sur la liste des suspects numéro 1. Chose normale qui ne m’a pas tellement surpris, lorsqu’un matin, une brigade est venue chez nous, avec Vic, m’interpeller.

    Je suis resté calme, et j’ai laissé faire. Je ne m’inquiétais pas, et j’ai dit aux autres de ne pas s’inquiéter non plus. Vic a été la plus traumatisée de cette période, mais j’avais prévu le coup. Trois mois après avoir tué Cooper, nous nous sommes mariés. Un truc discret, avec nos familles et nos quelques amis.

    On a fait ça par amour, mais surtout, pour se protéger mutuellement. Parce que la justice américaine est toujours aussi mal faite. On ne peut pas forcer une femme à témoigner contre son mari en cas de meurtre. De toute façon, puisqu’elle ne savait rien aux yeux des autorités, elle ne risquait rien. J’ai passé un mois en prison, en préventive avant d’être relâché. Ça n’a pas été facile de vivre de nouveau entre quatre murs, mais j’ai tenu le coup, puisque je savais qu’on ne trouverait rien. Le bateau qui a servi à transporter le corps de Cooper s’est perdu en mer et n’a jamais été retrouvé, je m’en suis assuré. Personne ne s’en est même soucié. Il n’existait rien qui prouvait ma culpabilité. Cooper a laissé une carte à sa femme et puis c’est tout.

    L’avocat de Truman était persuadé que j’avais fait en sorte de le faire disparaitre, il n’avait pas tort, sauf qu’ils n’ont jamais rien trouvé. L’enquête à conclut à une disparition, et les journaux se sont emparés de l’affaire en traitant Cooper comme un exilé de justice. Sa fuite l’a rendu coupable pour ses crimes, mais nous n’avons pas relancé l’affaire. Le jugement a été prononcé, il en est sorti non coupable, mais pas aux yeux de la société, pas après

    Aux nôtres, il a payé. Si jamais personne ne l’apprend un jour, nous le savons avec Vic, et c’est ce qui nous a permis de nous reconstruire petit à petit.

     

    — Nous sommes partis vivre en Angleterre le temps que les gens oublient l’Affaire, je réponds d’une voix ferme.

     

    Nos proches n’ont pas tellement apprécié de nous voir nous exiler de l’autre côté de l’océan Atlantique, mais nous en avions besoin. Nous avions besoin de nous retrouver, de réapprendre à vivre comme nous aurions dû le faire à notre libération. Nous sommes partis nous installer dans Yorkshire en Angleterre, dans un petit patelin tranquille où personne n’avait entendu parler de nous. Vic a repris des études par correspondances en stylisme. Elle a trop de talent pour le laisser de côté, et j’ai commencé à écrire des articles pour des journaux indépendants. Des choses simples.

    Puis on a fait des tas de trucs dingues durant trois ans, on a voyagé dans cinq pays du monde, on a vécu. Simplement, librement, selon nos envies.

     

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    Et puis, il y a eu un léger accident après une soirée un peu arrosée pour le Nouvel An en Chine, qui nous a confirmé que la vie peut être surprenante et belle. Et seigneur, comme j’ai chéri ce moment avant de sentir la panique et la joie m’envahir lorsque Vic m’a appris qu’elle était enceinte. Une seconde fois. J’ai vécu ce moment comme une bénédiction. Tout allait être différent à présent, et cet enfant, nous pouvions l’avoir, et nous l’avons eu. Une magnifique petite fille se prénommant Sasha. C’est à sa naissance que nous avons décidé que lorsque nos affaires seraient mises en ordre ici en Angleterre, nous rentrerions dans notre pays, pour que nos familles profitent de la nôtre.

    On a pris le temps, de prendre notre temps, et je ne regrette rien. Je ne regrette pas la vie que je nous ai offerte à Vic et moi. Elle méritait un ultime sacrifice, elle méritait d’avoir les mains couvertes du sang d’un bourreau qui ne méritait pas de vivre.

     

    — Oui, vous vous êtes fondus dans la masse, reprend le détective. Même en tant que journaliste, vous étiez sur des sujets plus que calmes.

     

    — Je pense que je le mérite, non ? Je rétorque avec sarcasme.

     

    Le détective s’assoie à mes côtés et se met à regarder ce que je contemple bien trop souvent. Vic s’en amuse, mais j’aime gravé au fond de ma mémoire chaque petit bout de nos vies qui se déroulent sous nos yeux, pour pouvoir m’en rappeler plus tard, lorsque ça n’ira pas.

     

    — Vous savez pourquoi je suis ici.

     

    — J’ai cru comprendre que vous êtes un privé, c’est la première fois depuis notre retour que nous en croisons un.

     

    Mais oui, je sais pourquoi il est ici, mais je reste sur mes positions, l’océan m’est fidèle.

     

    — On m’a payé pour retrouver Monsieur Truman…

     

    Je me tourne pour le dévisager, ses yeux marron deviennent sombres.

     

    — Sauf que je ne le retrouverai jamais n’est-ce pas ?

     

    Je ne réponds rien et me contente de remettre mes lunettes de soleil. Ce dernier ne tape pas encore fort, il faut dire qu’il commence à se faire tard. Il descend pour se coucher à l’horizon, offrant un spectacle des plus merveilleux. Il sera bientôt remplacé par la Lune, et elle aussi m’est fidèle. La nuit ne m’effraie plus comme avant, pourtant, c’est bien dans la nuit que j’ai commis le pire acte qu’un homme puisse faire de sa main.

    Mais ça aussi, j’ai appris à vivre avec.

     

    — On dit que le crime parfait n’existe pas, lâche le privé, pourtant, il se pourrait que ce ne soit plus le cas. J’ai lu le rapport d’enquête, c’est impressionnant comme la police à trouver tous les éléments permettant de les envoyer sur la piste de la fuite.

     

    — Les journaux ont dit que Truman avait disparu. Combien de criminels coupables fuient le pays qui l’accuse vers un autre qui ne l’extraderait pas, j’explique.

     

    J’ai peut-être quitté le monde du journalisme criminel pour les faits divers sans importance, j’en ai encore de bons restes.

     

    — Hypothèse qui se tient. Mais sa fille pense le contraire.

     

    Je regarde Vic attraper notre fille, et la soulever dans ses bras pour la faire tournoyer. Sasha a un an et demi, elle marche à peine, mais elle sourit autant que sa mère. À vrai dire, on se demande si c’est bien la mienne et si Vic ne l’a pas fait toute seule tellement elle lui ressemble. Ses yeux, son sourire, ses cheveux, il n’y a que dans ses mimiques que je m’y retrouve, mais j’aime ça, voir sa mère à chaque fois que je la regarde. J’aime ma fille comme j’aurais aimé mon fils et comme je l’aime à chaque fois que j’y pense. Être parent a été la boucle finale à notre reconstruction. Ça n’a pas été facile de revivre ça, mais nous l’avons vécu différemment.

     

    — Parfois, l’ignorance est ce qu’il y a de mieux à supporter, je souffle.

     

    Je sens le regard rempli de compassion et de curiosité du privé. Il acquiesce en lâchant simplement :

     

    — La justice n’a pas été tendre avec vous,

     

    — La justice n’a que le nom de juste parfois, je réponds.

     

    Et elle ne l’a pas été avec nous. Certains pensent que faire justice soi-même est mal, je suis d’accord, c’est mal, mais lorsqu’on ne fait rien pour penser nos plaies, lorsque les salops s’en sortent, l’humain a besoin de trouver sa rédemption dans quelque chose. Il doit agir lui-même. Et je ne regrette rien. Quand je vois ma fille, et quand je pense aux moments où elle me parlera des monstres sous son lit, j’aurais la certitude qu’il y en a un de moins.

     

    — Qu’est-ce que vous comptez dire à sa fille ? je finis par demander au bout d’un moment.

     

    Le privé cesse de regarder Vic et Sasha jouer dans l’eau.

     

    — Je continuerai mes recherches avant de classer l’affaire, certaines personnes ont les moyens de disparaitre et Monsieur Truman les avait. Dans trente ans, peut-être que nous obtiendrons la vérité.

     

    — Peut-être pas.

     

    Le détective sourit en se relevant.

     

    — Vous auriez fait un excellent avocat, Monsieur Kane. Vous êtes une tombe.

     

    Je ne réponds rien, si certaines choses ont changé, je ne suis pas redevenu bavard avec les inconnus. Ma relation avec mes parents s’est améliorée, ma sœur s’est mariée avec Parker et ils ont eu un petit garçon il y a quatre ans. Elijah est un brillant avocat qui collectionne les filles, mais il finira par se calmer.

    Nos vies ont repris leur cours, il l’a fallu, et il était temps.

     

    — Profitez de la vie, vous le méritez, fini par déclarer le privé avant de s’en aller.

     

    Je ne réagis pas, à quoi bon, il ne pourra rien prouver et il l’a lui-même compris, s’il s’attendait à ce que je lui fasse des aveux, il est bien stupide.

    Certaines choses sont mortes et enterrées pour toujours.

    Vic se tourne vers moi, notre fille dans les bras, elle me lance un sourire radieux, sa voix résonne :

     

    — Reag, tu viens ?

     

    Toujours.

     

    — J’arrive, je lance en me levant.

     

    Je pose mes lunettes de soleil sur la serviette de plage, et marche dans le sable encore chaud. Une fois à hauteur de Vic, je glisse un bras autour de sa taille et embrasse le haut de son crâne.

    Elle se love contre moi, et ma fille en fait tout autant en réclamant mes bras.

    J’aime son odeur, j’aime tout chez cette femme mais surtout, je l’aime elle, d’un amour indescriptible. Comme je lui dis souvent, il est douloureux de t’aimer, mais tant que je l’aime, le reste ne compte pas. Rien n’a été simple, nous avons côtoyé le pire, mais dans la douleur, nous avons réussi à construire quelque chose. Ce n’est pas parfait, notre amour peut être jugé étrange ou incompréhensible, mais qu’importe.

    Je sais qui est Vic, ce qu’elle m’apporte. Elle m’a sauvé et m’a ressuscité. Elle est comme l’ange de mon cœur qui chasse les démons et ramène la paix.

    Jamais je ne serai devenu l’homme que je suis, si mon chemin n’avait pas croisé le sien. Et à trente-trois ans, j’ai compris que la vie pouvait être enfin belle, avec elle.

     

     

     Amheliie

     

    Fin