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Irish War, Chapitre 6

CHAPITRE 6

Eireen

 

J’ai passé une soirée superbe. Je ne m’attendais pas à ce que ces facettes de Kenan O’Shea perdurent. Beau, et galant. Son seul défaut est d’être de l’IRA, j’imagine qu’il en a d’autres, mais c’est le pire à mes yeux. Nous n’avons pas mentionné une seule fois le conflit, pourtant, c’est souvent l’un des principaux sujets abordés au courant d’un rencart. Car oui, pas de doute, ce soir, c’en était un.

Difficile de croire que l’homme qui effleure ma main en marchant dans la rue est capable de violence.

Il n’a été que charmeur et drôle ce soir. À croire qu’il est plus qu’intrigué. Je me demande ce qu’il pense de tout ça, de la petite infirmière qui n’a pas froid aux yeux. Suis-je sa nouvelle distraction ? Est-ce que la partie est remportée au moment où un homme nous lance qu’il s’intéresse à nous pour autre chose que notre postérieur ?

En tout cas, j’ai appris pas mal de choses sur lui. Même si rien n’était en rapport avec l’IRA, j’ai réussi à dresser une sorte d’organigramme que je vais devoir vérifier avec mes frères.

Bientôt, j’espère obtenir des informations plus complètes. C’est le comment qui reste à planifier.

Le hic dans cette affaire ? Ça va vite. J’ai l’impression de ne pas tout contrôler. J’ignore si je dois paniquer ou ressentir de la fierté en repensant au regard de Kenan sur moi. Il me dévorait des yeux. Je ne me souviens pas la dernière fois qu’un homme m’a observé de la sorte. Avec un respect profond, mais un désir intense. Ses yeux dansaient sur mon corps, incapables de masquer ce que l’irlandais ressentait. Il régnait une ambiance électrique, comme dans le pub.

Je n’ai jamais vécu ça avec une « proie ». Mentir, séduire, sourire, c’est mon travail et généralement, cela se passe avec un peu de comédie, mais pas ce soir. Je n’en avais pas envie. Et c’est bien ça le problème. Assise en face de Kenan, j’en ai oublié ce que je devais faire. Je ne cherche pas un mari, je cherche des informations.

Mais lorsque Kenan s’est mis à me parler de lui plus intimement, de ses souvenirs d’enfance avec sa famille, de deux trois histoires sur son boulot au port, du mec suspendu dans le vide parce qu’il avait glissé de la grue, et des petites anecdotes qui forgent une personnalité, j’ai eu l’impression de nous trouver des points en commun.

Nous restons silencieux l’un à côté de l’autre, en parfait gentleman, Kenan a tenu à me raccompagner chez moi, heureusement que j’habite un quartier neutre, à une adresse sans lien avec l’UVF.

Je repense à ce soir et à quel point j’ai merdé, j’ai flirté pour moi, pas pour la cause. J’aurai dû davantage l’interroger sur sa famille, sur ses convictions… mais c’était bien ainsi. Ne pas parler du conflit avec un homme et faire semblant que la guerre de rue ne nous atteignait pas.

On arrive devant chez moi, je sors mes clés de mon sac, je sens l’irlandais nerveux, comme s’il cherchait quoi dire.

J’ai passé une bonne soirée Kenan alors que je n’aurai pas dû.

J’ai aimé être avec toi, alors que je ne devrais pas.

Mon propre flirte ne doit pas me jouer de tour.

Voyant que je cherche également mes mots, il brise le silence le premier.

 

— On se dit à bientôt ? lance Kenan, l’air de rien.

 

Il fourre ses mains dans ses poches, comme la dernière fois. Je chasse l’échauffement dans ma poitrine pour me concentrer sur mon objectif. Il veut d’une prochaine fois. Il a aimé passer du temps à mes côtés, sinon, Kenan ne m’aurait pas rappelé.

Ça marche Eireen.

 

— Il n’y en aura pas qu’une, de prochaines fois, je rétorque, sûre de moi.

 

Je souris, lui aussi.

 

— Est-ce une promesse ? me questionne-t-il sur un ton joueur.

 

Le lampadaire éclaire à peine la rue déserte. Son visage va mieux, je distingue les traits séduisants que semble arborer Kenan O’Shea au quotidien. Il a fini par m’avouer qu’il s’était bastonné avec un enfoiré pour l’honneur de sa sœur. En plus d’être gentil, c’est un irlandais typique. Comme mes frères.

 

— Peut-être ? je lance à mon tour.

 

Kenan fait un pas vers moi, je recule, on ne perd pas nos sourires et l’ambiance étrange sur le chemin disparait pour laisser place à ce petit truc. Cette lueur de défi. Celle qui a commencé lorsque j’ai échangé sa carte d’identité par une autre.

Fuis-moi je te suis.

 

— J’attends de voir ce que tu vas me dérober cette fois-ci, me provoque Kenan.

 

— Et si je ne fais rien ?

 

— Je doute que tu ne fasses rien.

 

Il se penche vers mon oreille, son souffle chatouille mon cou.

Comme la dernière fois.

Il est joueur, la bataille est aussi divertissante que dangereuse. Un combattant dans le flirt assène coup sur coup, et peut ne pas distinguer sa propre faiblesse.

Maitrise le jeu, me rappelle une voix dans ma tête.

 

— Si tu crois que je n’ai pas remarqué le bouton de ta robe qui s’était miraculeusement ouvert lorsque tu es revenue des toilettes, tu te trompes.

 

— Alors il n’y a pas que mon superbe cul qui t’intéresse, mes seins aussi, je plaisante.

 

Kenan se fige, je recule en sentant sa proximité devenir envahissante. Mon corps ne reste pas insensible au sien ni à son regard de braise. Ma peau se couvre de nombreux frissons lorsqu’il me parle ainsi. J’ai rencontré des hommes, j’ai flirté avec beaucoup d’entre eux, mais aucun n’a été ainsi.

Kenan me suit, je m’amuse de le fuir et lui, il aime tenter de me rattraper.

Je ne fais que jouer.

 

— Alors ? je le brusque un peu, mon cul, mes seins ?

 

— Ta voix et tes yeux. J’ai envie d’en savoir plus sur toi, Eireen McNamara, et c’est la première fois qu’une femme me fait ressentir ça. C’est différent, parce que tu te comportes différemment. Combien de mecs t’as mis à tes pieds ?

 

Je ferme les yeux, parce qu’il est contre moi, mon dos heurte le mur de l’immeuble, la pénombre nous apporte une certaine intimité.

Comment ça s’est produit ?

Kenan plonge son regard bleu dans le mien. Il glisse une mèche rebelle derrière mon oreille, mon cœur s’emballe.

Qui mène la danse ?

 

— Tant pis la galanterie, j’en meurs d’envie.

 

Sa main se pose sur ma hanche, le contact de ses doigts sur moi, il me laisse une chance de me dérober, de cesser ce moment où nos deux corps vont enfin se rencontrer. Son visage s’approche du mien, mon cœur s’emballe de plus belle, je sens son souffle contre ma peau, la pression de sa main sur ma taille, l’électricité dans l’air et cette alchimie qui bat dans nos veines et semble communiquer d’un corps à l’autre.

Je cède la première, je reprends les rênes et dérobe l’instant.

Mes lèvres s’écrasent contre les siennes. La fougue du baiser nous surprend, l’intensité prend le dessus. Nos souffles se mélangent, je découvre la chaleur de sa bouche contre la mienne, la douceur de ses lèvres. Le frisson qui traverse ma peau lorsqu’il me caresse.

Kenan me presse contre lui avec plus de force. Mes mains s’enfoncent dans ses cheveux sombres, je me laisse porter par la cadence de ce baiser volé. Nos langues se trouvent, s’effleurent, la chaleur me gagne avec violence. J’ai l’impression de chuter dans le vide. Les sensations entre nous sont électriques, je ne peux pas m’arrêter. Sentir la bouche de Kenan me vouloir et possédait grille toute connexion logique dans mon cerveau.

Kenan m’embrasse avec passion, ses gestes se font pressants, sa main libre frôle mes courbes sous ma robe. Je m’accroche à sa nuque pour le maintenir contre moi. Le feu nait lentement entre mes jambes, et l’érection de Kenan contre mon ventre me fait trembler. L’irlandais trace le contour de mes lèvres avant de les sucer. Il joue, j’essaie de ne pas me laisser porter, mais c’est tellement bon qu’il m’est impossible de résister.

J’en veux encore. Le contact de Kenan m’enflamme, créant des sensations puissantes. Sa bouche dévore la mienne avec une telle envie que c’en est déconcertant. J’ai du mal à respirer, mais je ne peux pas céder. J’ondule contre lui jusqu’à le faire jurer. Nous sommes en plein milieu de la rue en train de fusionner et rien ne semble nous arrêter.

Il règne depuis ce billard une alchimie palpable qui rôde autour de nous comme un loup prêt à attaquer. La lutte a lieu, la lutte est forte, la lutte me fait un bien fou.

Je me fonds contre cet homme imposant qui me touche comme si j’étais ce qu’il désirait de plus sur l’instant. Ses mains vagabondent sur moi et j’aime ça. J’aime la sensation sous mes doigts quand je caresse ses joues, quand ma langue danse contre la sienne et que nos lèvres se livrent bataille.

Il a envie de moi et je crois qu’à cet instant précis, j’ai envie de lui aussi, envie qu’il soulève ma robe, envie qu’il me plaque davantage contre ce mur pour me soulever. Envie de nouer mes jambes autour de sa taille pour que Kenan puisse s’y glisser entre. Et si j’étais folle, si je laissais le désir parler pour moi, je voudrais…

Je ne voudrais pas que ça s’arrête.

Kenan rompt notre baiser en s’écartant. Je suis choquée du manque soudain, de l’absence de contact et de chaleur. Mon ventre se serre, mon cœur est au bord de l’explosion. J’observe l’irlandais tenter de reprendre son souffle, ses yeux le trahissent, il mourrait d’envie de le faire. D’aller plus loin et de ne surtout pas s’arrêter.

 

— C’est le moment où tu applaudis mon self-control.

 

Ou de le maudire.

Je reste appuyée contre le mur pour me soutenir. Mes clés sont tombées, je ne les ai même pas entendues percuter le sol.

 

— Seigneur, j’ai dérapé, jure-t-il en passant une main dans ses cheveux désordonnés.

 

Par mes soins en plus.

Kenan me jette un regard en coin. Un maudit coup d’œil qui me fait l’effet d’une putain de caresse.

Remets-toi, hurle une voix dans ma tête.

 

— Mais je ne regrette pas.

 

— Moi non plus, j’avoue.

 

Kenan se fige, surpris, et y voit une forme d’invitation à recommencer. Dans d’autres circonstances, si O’Shea n’avait pas été un membre de l’IRA, je l’aurai trainé à l’étage et nous aurions bravé les règles de la bienséance. Mais je ne peux pas. Je ne dois pas laisser parler une maudite alchimie.

L’embrasser oui, baiser, non. Il n’en est pas question de franchir la ligne.

C’est le moment de reprendre les rênes.

Je pose une main contre son torse pour l’arrêter. Même si mes lèvres en réclament encore, mon cerveau ne pourra pas admettre un autre écart.

Ça va trop vite. Je ne contrôle pas comme la dernière fois. Mais n’est-ce pas dans l’ordre des choses ? Tu as déjà embrassé tes proies, pourquoi cela te perturbe autant avec lui ?

Pourquoi j’ai l’impression de ne pas faire comme d’habitude ?

 

— J’utilise la règle des cinq rendez-vous, je chuchote à son oreille.

 

C’est ça ma fille, reprend le dessus. Contrôle, fais-toi désirer. Mets-le à tes pieds. Tu lui as donné un bout de toi ce soir, un avant-goût, rend le fou.

 

— Plus que deux alors, me provoque Kenan.

 

Nos regards se croisent, je souris sans masquer mon amusement. Je chasse le désir, je chasse la pensée qui me traverse l’esprit en

Je joue, je joue peut-être trop bien depuis deux semaines. Depuis qu’il est venu dans mon service pour me vomir dessus.

 

— Deux ? je demande en fronçant les sourcils.

 

— L’hôpital était le premier.

 

Kenan sourit en même temps que moi. Je ne dois pas avoir la même définition de rencart à ses yeux. Sa fougue me plait et me garantit que le jeu est en train de marcher. Même si je doute. Il va falloir que j’aie des armes pour me blinder face au charme séducteur du docker.

 

— Alors ça fera six rendez-vous.

 

 

— Tu ne lâches pas.

 

— C’est ce qui te plait chez moi.

 

Il bande encore, je le sens contre ma cuisse, mais Kenan ne tente rien de plus. Il semble… satisfait tout en étant méga frustré. J’en suis ravie, et j’espère que l’envie qui m’a dévoré ne se lit pas trop sur mon visage. Le mystère est l’une des premières règles dans ma matière.

 

— Eireen ?

 

Sa main presse ma hanche.

 

— Oui ? je murmure d’une voix rauque.

 

Kenan se penche vers ma joue, et comme la dernière fois, je le surprends en venant déposer un baiser, sur sa bouche. Un franc et direct. Ses lèvres contre les miennes, en souvenir de l’étreinte plus fougueuse de tout à l’heure.

Je m’écarte la première, Kenan ferme les yeux en passant sa langue sur ses lèvres, ce geste est incroyablement sexy, même sur sa gueule cassée par la défense d’un honneur. Sa main sur ma taille se serre, il lutte.

Je m’écarte en rompant tout contact, je ramasse mes clés, je sens son regard sur moi, je n’ai pas pris la peine de m’accroupir, je me suis penchée, et je ne doute pas que ma robe montre la lisère d’une zone inaccessible.

Je n’ai pas autant de classe que mes belles sœurs, il m’arrive parfois de faire des trucs qu’on penserait sexy, mais qui sont pas calculés.

 

— Je t’appelle, me promet-il.

 

— Surveille bien tes affaires.

 

Car cette fois-ci, je ne suis pas partie sans rien.

Est-ce que le poisson commence à mordre à l’hameçon ? En tout cas, la proie ne me laisse pas indifférente, si je me fis au grand frisson et aux battements de mon cœur. Mes lèvres tremblent encore du baiser que nous venons d’échanger, mon souffle a encore son odeur. Et mon corps exprime sans honte, la vague de désir qui l’a submergé.

Je reste immobile dans la rue en le regardant s’éloigner.

C’est l’ennemi. Mais l’ennemi est tellement sexy.

Vais-je franchir la ligne ? Celle que je m’impose depuis deux ans me disant de ne jamais dépasser le flirt ? D’autres femmes aidant l’UVF n’hésitent pas à soulever la jupe pour atteindre plus rapidement leurs infos, pas moi. La séduction est un pouvoir incroyable.

Pourtant, une petite voix dans ma tête me dit que ça pourrait être encore plus simple si je l’avais à mes pieds, une autre me dit de me méfier, cette idée pourrait être celle d’un corps en fusion et non d’un esprit sain. Combien de fois l’alchimie a joué des tours aux grands hommes ? Combien de guerres se sont déclenchées pour un baiser, une femme, une envie ?

Je suis en train de vivre la mission, celle où on ne flirte pas seulement avec l’ennemi, mais avec sa propre loyauté.

Je porte mes doigts à mes lèvres encore sensibles. Mon cœur s’emballe, c’est l’ennemi, je sais ce que je veux, et ce n’est pas le premier à terriblement bien embrasser.

Mais c’est le premier qui me fait oublier, l’espace d’une soirée, qu’il est de l’IRA et moi pas.

 

***

 

L’un des lieux de rencontre de l’UVF est situé en pleine zone banlieusarde côté protestants. On ne croisera aucun membre de l’IRA ici, mais mes frères ont de bons stratagèmes pour me faire venir à eux sans griller ma couverture.

Je passe par trois véhicules différents avant d’atteindre mon but. Mes parents habitent dans le quartier en plus. C’est l’occasion de passer les voir et de diner en famille avant de repartir à mon existence de solitude. Un jour, quand j’aurai envie de construire quelque chose avec quelqu’un, toute cette mascarade cessera. En attendant, chacun profite de la situation des uns et des autres.

J’ai eu droit à un accueil chaleureux de la part de la milice qui ne me voit pas souvent. On évite les contacts sauf en cas d’urgence ou pour les besoins d’une affaire.

La menace de l’attentat nous fait commettre quelques impairs. J’ai besoin d’informations, et il n’y a qu’eux qui puissent m’en fournir suffisamment sur les O’Shea ainsi que sur les dernières rumeurs.

Niall, le chef de la milice à laquelle mes frères et ma famille appartenons m’a remis un dossier à jour sur ces membres de l’IRA. Je le feuillette pendant qu’ils parlent des banalités, des dernières actualités de l’état, ce qui se dit en interne et en public.

Depuis le début de l’année, Belfast et les environs connaissent des temps dangereux. Entre les affrontements dans le principal No Man’s Land, et les agressions, le conflit peut péter à n’importe quel moment.

J’apprends que Kenan et son père sont spécialisés dans les explosifs. Avec ses frères et leurs statuts de dockers, ils manipulent un des principaux réseaux de fournisseur en armes. Il n’y a que le plus jeune qui ne semble pas totalement investi. Ils n’ont jamais quitté Belfast, ils ont grandi près de l’IRA et des affaires violentes des familles fidèles à la cause. Ils ont une place respectée au sein de la hiérarchie du coin. Ce n’est pas n’importe qui.

Kenan semble être le commanditaire du dernier attentat à la bombe, l’UVF a listé un bon nombre de manifestations et d’affrontements auquel il a participé.

Je ne vois pas de faille, seulement une véritable loyauté.

Comme notre famille.

Le restant des informations me donne les habitudes des O’Shea qui sont vagues. J’ai surtout leur rôle au sein de la société, mais le reste est flou.

Cela ne m’avance pas tant que ça. En revanche, les propos de Niall et de Sean sur les dernières rumeurs dans les rues captent mon attention.

 

— Oui, nous avons eu des informations de la part d’indics basés à Falls Road, commence Sheamus.

 

— Vu ta gueule, renchérit Daley, mon second cousin, le seul brun de la pièce, ça m’a pas l’air bon signe.

 

Sheamus sort une clope du paquet sur la table, l’allume avant de poursuivre :

 

— Les gars disent que l’attentat est prévu pour septembre, début octobre, ou carrément fin novembre.

 

— C’est un pas, déjà, je souligne.

 

Cormac m’adresse un regard noir, mon cousin a horreur que je sois là. Je le sais, il aimerait que je ne vienne faire que mes rapports avant de déguerpir des histoires plus « sérieuses ».

 

— Ouais, sauf que ça n’a aucun sens. Je pensais qu’ils frapperaient pour les X années de l’UVF, c’est dans cinq semaines. Ces informations me semblent louches.  On a vérifié les calendriers de la venue des personnalités importantes et pour l’instant rien. Si nous ne pouvons pas savoir, eux non plus. Alors pourquoi cette tranche ?

 

Une ambiance pesante s’installe dans la pièce. Les explications de Sheamus jettent un froid. J’observe chaque membre de la milice, ils fument ou réfléchissent. Douze hommes inquiets. Ils sont responsables de cette histoire parce que les rumeurs sont sur leur terrain. Ils doivent être prêts pour que leur milice et le restant de l’UVF puissent se mettre en action en plus de tous les problèmes qu’ils rencontrent actuellement.

Avec les tensions, les visites-surprises des uns et des autres, les manifestations et les fêtes sont annulées et reprogrammées au dernier moment pour éviter des failles. L’IRA nous ment sans doute, peut-être qu’ils veulent nous mettre sur cette fois alors qu’ils décideront de frapper un centre commercial.

 

— Ils ne vont pas faire péter le soir d’Halloween ? jure Sean.

 

— Tout est possible, répond Niall.

 

Tous les regards se tournent vers moi et je comprends la demande silencieuse : il faut qu’on en sache plus. Est-ce une manifestation, une personnalité, un lieu, un évènement, un endroit qui va être visé ? Est-ce que ces dernières actualités sont bonnes ?

On ne me donne aucun ordre, pas besoin, c’est assez subtil pour que je comprenne. On m’informe juste des possibles documents que je devrais récolter, ainsi que le nom des membres participant à l’attentat.

C’est plus sérieux que je ne le pensais. Il ne s’agit pas d’apprendre quelques infos, il faut que j’infiltre une famille en son sein.

La merde.

 

— Voici la liste des membres de Sinn Féin[1] que le haut gratin nous a donné, déclare Eamon au bout d’un moment, pour passer au sujet suivant.

 

— Je vous laisse, je déclare en reposant le dossier, puis en me levant.

 

Je ne veux pas entendre ça. Je sais ce que font mes frères après leur boulot. L’intimidation, la peur et les crimes qu’ils commanditent pour affronter l’IRA et semer la terreur.

 

— Ils vont faire de même, se justifie Cormac.

 

Comment l’oublier ?

 

— Je vous laisse, je confirme. À tout à l’heure et merci pour les informations.

 

Je vais essayer d’en apprendre plus sur les activités de Kenan. Il faut que ça dépasse l’alchimie et l’attirance. Je dois devenir quelqu’un pour lui. Je dois m’infiltrer au plus profond de sa famille. Il faut que je joue plus que ça. Je dois le séduire complètement, pas flirter. Il faut que Kenan O’Shea me fasse entiercent confiance, et ça, en deux mois. Autant dire mission impossible.

Comment dérober le cœur d’un patriote n’aimant que sa cause ?

 

— Eireen ?

 

— Oui ?

 

— Tiens-nous au courant. Eamon saura comment te trouver pour les rapports. Il s’en chargera, m’explique Niall en écrasant sa cigarette.

 

— D’accord.

 

— Et Eireen ?

 

Je scrute mes frères, ils ne discutent pas les ordres de Niall. C’était son idée de me faire rentrer au sein de la milice, même si je ne partage pas tous leurs agissements, la guerre m’a fait comprendre qu’il n’y a que la loi du Thalion. Je ferme les yeux sur leur horreur, et je contribue en espérant pouvoir en éviter quelques.

 

— L’UVF ne tiendra pas rigueur si tu franchis la ligne que tu t’ais fixé. Les deux lignes. Nous sommes prêts à n’importe quoi pour obtenir des informations, nous saurons être reconnaissons.

 

Un frisson me gagne face à cette déclaration. Les deux lignes, nous savons très bien de quoi il s’agit.

Est-ce que je leur réponds qu’une chaleur douloureusement plaisante a gagné mon ventre lorsqu’un membre de l’IRA m’a embrassé sauvagement en me plaquant contre un mur ?

Je m’abstiens.

Declan me remercie d’un murmure, mon frère n’a pas l’air emballé, les autres non plus. Mais ils fermeront les yeux, je suis certaine qu’ils pensent déjà que j’ai dû par le passer, écarter les cuisses pour obtenir quelques infos. Ils s’en formalisent, en tant de guerres, il n’y a pas de places pour les détails. J’ai toujours leur respect, parce que sans moi, ces deux dernières années auraient pu être plus terribles.

Ils comptent sur moi.

Une petite voix dans ma tête me dit que si ça peut nous servir et sauver des vies, je peux laisser libre court à ce désir.

Je serais sans doute gagnante sur tous les points, même si… coucher avec l’ennemi est mal vu, c’est peut-être notre seule chance. Si je dérobe le cœur de Kenan O’Shea, j’en découvrirais certainement les mystères qui l’entourent, lui et l’attentat que l’IRA prépare.

 

***

 

Lorsque je franchis les portes de chez mes parents, je suis certaine que personne ne m’a vu ni reconnu. Je maitrise l’art du déguisement et les voisins pensent tous que je suis partie en Angleterre pour mes études d’infirmière. Maman raconte à ses amis qu’il m’arrive de partir à l’étranger pour des missions humanitaires.

Le mensonge règne dans cette famille, mais c’est pour la bonne cause.

C’est ce que je me dis.

 

— Ma chérie !

 

Ma mère, Ciara Hennessy me ressemble trait pour trait, à la seule différence, ses cheveux sont roux. Elle m’accueille de bon cœur en me serrant dans ses bras de toutes ses forces, cela fait trois semaines que nous ne nous sommes pas vus.

Elle me demande comment je vais, je réponds toujours la même chose. Bien, malgré mon boulot fatiguant aux urgences. Depuis le passage de Kenan, un vent de violence s’est déchainé à l’hôpital. On a dû faire intervenir à de nombreuses reprises le service de sécurité. Nous avons de plus en plus d’hommes venant avec des os brisés. Quelques catholiques, mais surtout des protestants en colère. Sans compte la bobologie quotidienne ou les accidents plus graves.

Mon travail m’épanouit. Il m’aide à garder les pieds sur terre, j’aime aider les gens, tout comme j’aime croire qu’un jour, l’horreur de notre pays cessera enfin pour connaitre la paix. C’est mon côté utopiste.

Maman m’informe que Granny m’attend avec impatience pour jouer aux cartes. C’est d’elle que vient mon nom d’emprunt « McNamara ». Mon père n’est pas encore rentré, et j’imagine qu’il doit être dans un salon semblable à celui où mes frères sont, avec des hommes d’influences, à discuter de l’avenir.

C’est bien connu, les protestants détiennent les richesses et ont le pouvoir. La plupart des flics sont de mèches avec l’armée anglaise, et cette dernière possède la presque totalité de loyalistes qui changent leur visage à la tombée de lui.

Ce n’est pas beau, aucun camp ne se bat à la loyale, comme dans n’importe quelle guerre dirons-nous.

Je retire ma veste dans l’entrée, ma mère me demande si je peux l’aider avec le repas, nous allons être quatorze ce soir, toute la fratrie Hennessy sera là. Il faut dire que Granny fête 82 ans ce soir.

En passant, je m’arrête devant le mur où Maman affiche les cadres photo de notre famille.

Deux personnes manquent à l’appel cette année encore. Mon cœur se serre en voyant leur photo.

Le conflit entre catholiques et protestants apporte son lot de malheur partout.

Ma grand-mère a perdu son mari, un homme que j’aurais adoré connaitre, mais ces deux-là… je les ai connus, je les ai aimés, et mon cœur s’est brisé lorsqu’ils ont été assassinés.

La mort est partout à Belfast, et elle ne semble pas prête à trouver le repos.

 

 

AMHELIIE 

 

[1] NDT : « Sinn Féin » est un parti politique républicain actif en Irlande et en Irlande du Nord. Il s'agit du deuxième parti politique d'Irlande du Nord. Le nom signifie « Nous-mêmes » en irlandais. Durant les affrontements dans les années 90, les membres de ce parti ont été traqué et assassiné pour certains, par les milices de l’UVF.

Commentaires

  • oooohhhh mais ohhhhhhhh bah ohhhhhhhh !
    merci pour ce chapitre !

  • Franchir les deux lignes...je pense que cela ne sera pas bien difficile

  • Impatiente de lire la suite! Suis déjà accro à l'histoire et aux personnages d'Eireen et Keran.

  • Kebab!!! Pfff

  • Kenan !!! Foutu correcteur d'orthographe !!!

  • Kenan !!! Foutu correcteur d'orthographe !!!

  • Kenan !!! Foutu correcteur d'orthographe !!!

  • C est prennant, ça me chamboule déjà ça va être compliqué cette histoire....

  • J'ai adoré cette histoire.

Les commentaires sont fermés.