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Irish War, Chapitre 10

CHAPITRE 10

Eireen

 

Qu’est-ce qu’il m’a pris ? Pourquoi j’ai laissé parler ma fierté ? Pourquoi j’ai mentionné un avenir alors qu’il n’y en aura jamais ? Mon cerveau a grillé. Il ne s’agit rien de sérieux dans la réalité et si je n’étais pas perdue avec ce qu’il s’est produit ces dernières quarante-huit heures, je n’aurai pas laissé mon esprit divagué pour endosser le rôle d’une gourde qui tente de poursuivre sa mission.

Kenan a eu l’air… surpris, puis blessé, pour finir par être… indéchiffrable. Est-il amusé par ce soudain pétage de plomb de ma part ?

J’ai déconné avec lui. Je n’aurais pas dû m’emporter ainsi, j’aurais dû laisser couler. Pourtant, ce week-end m’a remué. Ne pas contrôler ce qu’il se passe entre nous me rend nerveuse. Je n’ai pas les cartes en ce moment même, j’avance en terrain inconnu, je déraille.

Je dois me ressaisir, ce n’était qu’un week-end, qu’une baise, qu’un… pas en plus. Kenan m’accueille dans son intimité, je devrais être aux anges, j’entends déjà l’UVF hurler de joie. Pas moi. Tout se mélange, et en trois semaines, je n’ai jamais eu une telle impression de danger.

Que m’arrive-t-il ? Un regard, une alchimie, une baise et on déglingue Eireen McNamara Hennessy ?

Bordel non.

Je tente de faire bonne figure, personne n’a distingué mon trouble. La journée s’est déroulée parfaitement, j’ai tenu mon rôle, chassant mes pensées, j’ai tenté d’en apprendre plus sur les habitudes de Kenan.

J’ai discuté avec chaque membre voulant bien me parler, l’ambiance était sympathique, très familiale. Personne ne peut se douter que j’étais en présence de membres très actifs de l’IRA.

 

— Alors Eireen, il parait que vous êtes… contre la guerre ?

 

La question plombe directement l’ambiance du diner. Tous les O’Shea se tournent vers moi. Kenan glisse sa main sur mon genou, comme pour m’apporter un réconfort silencieux.

Je ne perds pas mon sourire en dévisageant John O’Shea, le père de la fratrie.

Apparemment, chez ses Irlandais, chaque soir de match, surtout les victorieux, est équivalent à un immense repas de famille. La tablée est immense, c’est… convivial, jusqu’à ce que la conversation devienne sérieuse. Comment a-t-il su ?

 

— T’es pacifiste ? lâche Clare sur un ton un peu sec.

 

Rory, Aidan et Eoghan laissent échapper un son amusé, comme si leur sœur venait de dire la blague la plus drôle de l’année.

Je ne perds pas contenance alors qu’ils attendent tous une réponse.

Non, je ne suis pas pacifiste dans la vraie vie.

 

— N’oubliez pas de rajouter athée à mon CV, je plaisante en lançant un clin d’œil au patriarche.

 

Voilà, Eireen, ça, c’est une réponse parfaite !

Ma déclaration fait taire les derniers bavards, la mère de Kenan me jette un regard surpris, comme si je venais d’avouer le pire des secrets. Est-ce qu’elle imaginait déjà son fils à l’église avec moi ? Cette idée me fait… rire, surtout après la conversation hallucinante que nous avons eue. Nous ne nous connaissons que depuis un mois, je suis totalement fausse avec Kenan… enfin, c’est ce que je crois, une petite voix dans ma tête ne cesse de me tourmenter en me disant qu’il y a plus d’Eireen que de la miss McNamara quand je suis avec lui.

Je chasse cette pensée.

 

— Au moins, tu n’es pas Protestante, ironique, Canan, le seul frère de Kenan que je n’avais pas encore rencontré.

 

Ce commentaire détend légèrement l’atmosphère, mais a peiné. Clare et John ne lâchent pas l’affaire, à croire que c’est impossible pour eux d’être pacifiste.

 

— Athée, pacifiste, où tu l’as trouvé ? déclare John O’Shea en souriant, à l’intention de son fils.

 

— Elle est tombée du ciel, plaisante Kenan en resserrant sa main.

 

— Comment peut-on être pacifiste, jure Clare, la guerre ne vous a-t-elle rien pris ?

 

Je me raidis, cette question sèche m’heurte en plein cœur. Elle est prononcée avec tellement de rancœur, avec la voix d’une femme brisée et blessée, une que je ressemblais avant de me lancer dans des missions séductions pour l’UVF.

Si, la guerre m’a pris quelqu’un, elle m’a pris un bout de moi-même. 

 

— Aucune cause ne mérite la mort de dizaine, de centaines ou de milliers de personnes. Si user de violence servait à quelque chose de positif dans les guerres, cela ferait bien longtemps qu’on le saurait, je rétorque pour ne pas répondre à la question.

 

Je chasse la douleur de ma poitrine en gardant les pieds dans cette réalité, pas de place pour le passé. Clare, la grande brune semble davantage contrariée, les autres continuent de manger sans perdre une miette de l’affrontement. Kenan m’avait prévenu que sa sœur me testerait, qu’elle était sensible sur certains sujets.

 

— Si user de mots servait à quelque chose, cela ferait bien longtemps qu’on le saurait, répète Clare en me foudroyant du regard.

 

— Ta famille est… commence Eoghan, curieuse.

 

Le questionnaire question réponse se poursuit, je suis toujours à l’aise avec ça.

 

— Irlandaise d’adoption. Ma mère est… anglaise, mon père est irlandais.

 

— Une bâtarde de patrie, jure Clare en manquant de s’étouffer avec sa bière.

 

— Aie, plaisante Rory, ça fait comment d’avoir le cul entre deux chaises ?

 

Je ne me dégonfle pas, je n’affiche pas un air tendu et j’espère que le regard de Kenan sur moi ne voit que l’assurance et la maitrise. Pourtant, au fond de moi, mon cœur saigne. Je me bats pour une cause moi aussi, pour que tout ça s’arrête, pour ne plus avoir à pleurer quelqu’un qui me manque.

 

— Je le vis bien, puisque ce combat n’est pas le mien. Je me bats pour la paix, pour que les blessés d’une guerre puissent être réparés. Je n’ai pas de but politique, je n’ai pas envie de prendre parti. Il y a trop peu de personnes qui ne pensent pas comme moi, et les dégâts d’un conflit qui durent depuis des années, ne s’améliore pas. Il faut du changement, et quoi qu’il arrive, un des deux camps sera perdant.

 

— Pas le nôtre, s’exclame Aidan avec fierté.

 

Chaque O’Shea acquiesce à ses mots, Kenan aussi, sa main n’a pas quitté mon genou depuis la question de son père. Je fouille mon assiette, mais j’ai perdu l’appétit.

 

— Et peut-être que le leur non plus, je rétorque avec assurance.

 

Ma remarque les fait rire, elle ne les énerve pas, bien au contraire, elle les amuse. J’ai l’impression d’être une petite bête curieuse.

 

— Vous êtes unique, souligne Daireen en me fixant. La guerre vous a-t-elle épargné ? Je pensais comme vous, avant de perdre mon frère, je vous souhaite de ne jamais connaitre ça. Même si je vous rejoins sur un point : une fois la paix gagnée, il n’y aura plus de morts pour un combat.

 

Je souris en chassant ce souvenir déchirant de mon esprit. Celui qui m’a dévoré et a fait naitre une colère d’une violence inouïe.

J’aurais voulu ne jamais connaitre cette douleur, Madame O’Shea.

Mais je l’ai perdu, comme chaque famille irlandaise a perdu quelqu’un.

À la place, je reste dans mes pompes de pacifiste.

 

— Vous connaissez l’histoire des amants maudits, celle de Roméo et Juliette ? L’Irlande du Nord connait le même problème, deux familles qui se détestent, mais qui veulent la paix en se faisant la guerre. On connait tous la fin de Roméo et Juliette, et pardonnez-moi pour mon audace, mais ne craignez-vous pas, que dans votre lutte ou dans la leur, les gens que vous aimez vont être sacrifiés pour une cause probablement perdue d’avance ? Que ce soit dans un camp ou dans l’autre, je précise. La Guerre blesse plus qu’elle ne libère. Je crois au pouvoir des mots, pas à la violence. Je crois que tout le monde peut vivre égaux, si on établit des règles et si on prend des décisions justes pour les deux camps. L’Irlande du Nord connaitra quelque chose de nouveau, mais sans doute qu’à force de bataille, le seul combat remporté sera celui de ceux qui ont laissé s’entretuer ceux qui ne voulaient pas discuter.

 

Le silence envahit l’immense salle à manger des O’Shea, chacun se jette un regard, surpris. Je m’attends à me faire virer de la maison, Kenan me dévisage avec un sourire en coin. Puis, Rory me sauve du malaise qui commence à naitre.

Ai-je trop parlé pour un premier soir ? Suis-je ce stéréotype de la petite « conne » pacifiste ?

 

— Hé bien… Kenan, rassure-moi, elle n’a pas de queue ?

 

— Rory ! s’offusque leur mère.

 

Kenan éclate de rire, suivi du restant de la famille.

 

— Je t’assure que non.

 

Sa main saisit la mienne, il la serre avec force et je ne saura interpréter ce geste.

 

— Elle a du mordant, la petite athée, plaisante Fionna.

 

— Elle en a, confirme l’irlandais en me jetant un regard en coin.

 

La conversation reprend son court, personne ne souligne mes derniers propos, il règne une ambiance moins légère, empreinte de pensées différentes de celles qui hantent ce lieu. Est-ce que j’ai fait bonne impression ? Je n’en sais rien, mais je n’ai pas grillé ma couverture. Peut-être que je suis passée pour une faible, mais j’en doute. Ce soir, j’ai parlé avec mon cœur, j’ai raconté une histoire en la donnant à une autre alors qu’elle était la mienne et j’ai exprimé mes véritables pensées, celles que je garde enfouies en moi.

Je sais que la Guerre s’annonce compliquée et au fond de mon esprit, une voix lucide m’a toujours dit qu’elle serait probablement perdue par les deux parties, mais ça, il n’y a qu’Eireen McNamara qui puisse le dire, Eireen Hennessy ne peut pas le penser, elle ne peut qu’espérer voir son camp l’emporter.

 

***

 

 

On arrive devant chez moi, je lâche la main de Kenan. Le retour a été étrange, parsemé de non-dit, je ne savais pas quoi lui dire après cet étrange week-end où nous avons franchi la ligne. Cette soirée a été particulière et mes pensées n’ont pas cessé de me hanter.

Est-ce que j’ai merdé ?

 

— Eireen…

 

— Je suis désolée, je m’excuse en détournant le regard, je n’aurai pas dû me laisser emporter avec ton père.

 

Kenan saisit mon visage, il m’attire vers le sien, je note qu’il me sourit. Il n’a pas l’air… énervé.

Merde, O’Shea, qu’est-ce qu’il te prend ? J’ai dit que t’allais perdre et que vous étiez des cons à vous battre comme ça, et tu souris ?

 

— J’ai aimé que tu fasses taire toute ma famille.

 

Waouh…

La surprise doit se lire sur mon visage, parce qu’il laisse échapper un petit rire. Il m’enlace, j’encaisse la proximité de son corps en savourant le bienêtre que Kenan dégage.

 

— Tu as l’air surprise.

 

— Tu es catholique et visiblement… très impliqué pour… tes idéaux.

 

Kenan se raidit à son tour, j’essaie de rester vague, mais vu la conversation de ce soir et leur réaction, n’importe qui aurait deviné en partie, ce que les O’Shea ont comme conviction. Il va falloir que nous en parlions pour notre « relation », même si moi, je sais déjà tout ça, Kenan l’ignore.

 

— J’ai des convictions en effet, mais nous en parlerons un autre soir, laissons-nous diriger ton petit éclat de la soirée, me taquine-t-il.

 

Je tente de ne pas montrer ma contrariété de le voir slalomer avec le sujet. J’ai été franche ce soir, c’est à son tour.

Il le faut, pour moi, pour ce que je suis en train de faire. Je ne peux pas échouer.

 

— Jamais personne n’a fait ça. Nous n’avons jamais rencontré quelqu’un… comme toi. Je n’ai jamais fréquenté quelqu’un comme toi et c’est ce qui me plait, ta fougue, tes idéaux différents des miens, mais pas opposé.

 

Je suis ton opposée, Kenan, si tu savais.

Je me blottis contre lui pour ne pas avoir à croiser son regard, son odeur virile me hante et me hantera toute la nuit, demain, nous reprenons la cour normale de notre vie, celle rythmée entre nos travails, nos flirts et cette ligne franchie. Que va-t-il se produire désormais ?

 

— Ils me détestent maintenant, je tente de plaisanter.

 

— Et moi, j’ai adoré, me confirme-t-il de nouveau.

 

Kenan croise de nouveau mon regard, je prie pour qu’il ne dévoile rien de trop inquiétant. Je lui souris même.

 

— Ma pacifiste, me taquine-t-il.

 

Je lui envoie un coup dans l’épaule, ça l’amuse et ça soulage l’ambiance pesante entre nous, des questions demeurent, il me faut absolument des réponses.

 

— Je t’appelle ? déclare Kenan au bout d’un moment.

 

— Tu veux encore de la pacifiste qui cloue le bec à ta famille ? je l’interroge en usant de mon ton rauque qui le fait craquer.

 

Je sens son érection contre mon ventre. Voici la meilleures des réponses au cœur de cette nuit étrange.

 

— Elle me fait bander, chuchote-t-il à mon oreille.

 

Je souris, ou plutôt, je sens naitre cette vague de chaleur dans mon ventre, celle provoquée par notre alchimie.

La honte, le plaisir, l’interdit, notre interdit.

 

— C’est sincère ? je le provoque encore.

 

— Oui.

 

Kenan se penche pour m’embrasser, ses lèvres trouvent les miennes et m’offrent un contact léger, mais électrique qui m’attire des frissons.

 

— J’ai besoin d’en savoir plus Kenan, sur toi, sur la guerre, sur ce que tu en penses.

 

Kenan acquiesce, à contrecœur, mais il comprend. C’est… primordial. Même pour une relation synonyme d’amusement. C’est ce qu’on est à ses yeux d’après ce que j’ai compris, ou alors, il y a un espoir de plus à ses yeux, il l’a laissée transparaitre aussi. Je ne sais pas encore, mais je ne peux pas être qu’une distraction, il faut que je sois un tout, une obsession. Une nécessité, une amante et une amie.

Il me manque la première.

 

— Eireen ? murmure-t-il contre ma bouche.

 

— Oui ?

 

Un frisson nait sur ma peau lorsque Kenan agrippe mes hanches pour me plaquer contre lui avec plus de ferveur.

 

— Aujourd’hui était étrange, est-ce que je t’ai fait flipper avec notre conversation ? Je ne veux pas que tu penses que je ne tiens pas à toi. Seulement… c’est nouveau pour moi, c’est nouveau et absolument pas ce, à quoi je m’attendais, j’ai besoin d’un temps d’adaptation, j’ai besoin… de prendre le temps de comprendre, d’y aller en douceur. Je ne veux pas être un connard, pas quand j’ai une superbe femme dans mes bras, à qui j’ai laissé ma croix autour de son cou.

 

Ses paroles me laissent sans voix, elles m’achèvent, et me font penser que Kenan ne sait pas nous plus comment définir ce qu’il nous arrive.

Nous flirtons, mais est-ce qu’un plus commence à naitre depuis notre franchissement ?

Je ne sais plus quoi penser.

Je l’embrasse une dernière fois pour le faire taire, j’en ai assez entendu, j’ai besoin de faire le point, besoin de le chasser et de chasser certaines sensations.

Je rentre chez moi, le cœur serré, avec une impression étrange, celle de valser de plus en plus entre celle que je suis, et celle que je joue. Où est la limite ? Où est la distance ? Pourquoi j’ai la sensation de rester cette Eireen, celle qui doit faire succomber Kenan alors que je monte les marches vers mon appartement ?

 

— Tout va bien ? m’interroge Cait en me voyant entrer.

 

Je secoue la tête en voyant ma meilleure amie, elle est dans le salon en train de regarder un documentaire nocturne, comme si elle m’attendait.

Je me dirige vers la cuisine pour sortir la bouteille de Whisky qu’on cache. Je saisis deux verres avant de revenir vers elle.

 

— C’est dur, je déclare d’une voix morne en m’asseyant à ses côtés.

 

Ma meilleure amie éteint le téléviseur.

 

— Oh…

 

Nos regards se croisent, j’ouvre la bouteille pour nous verser deux verres, je lui tends le sien.

 

— J’ai besoin de parler, j’avoue.

 

— Je t’écoute.

 

Je vide mon verre d’un trait avant de raconter mon week-end à la seule personne présente capable de comprendre mon trouble sans me juger.

 

***

 

Une semaine plus tard.

 

Je n’ai pas mis de distance avec Kenan, mais nous n’avons pas pu nous voir. Je crois qu’il avait à faire et moi… j’ai eu besoin d’un peu d’air pour encaisser ce week-end, pour réfléchir et maitriser mes émotions. Je suis perdue et j’ai perd d’avoir merdé. Nos instants dérobés au temps me hantent, je n’arrive pas à regretter, je ne fais que les aimer. Son corps contre le mien, notre complicité, son regard me dévorant et cette sensation de tout oublier.

Où est la Eireen que je connais ? Je ne dois pas succomber à l’alchimie, cette traitresse ne m’oublie pas et Kenan non plus, sa voix hante à son tour mon répondeur chaque soir.

Il me manque et ça me terrifie. La réalité me rattrape, je dois l’espionner, pas flirter pour mon plaisir personnel.

 

— T’as l’air préoccupé, petit sœur, déclare Declan en fermant la porte du balcon derrière lui.

 

Je ne me tourne pas, je reste là, à admirer les étoiles du ciel dégagé. J’aime les nuits d’été dégagées pour ça.

Mon frère vient à mes côtés, une clope en main, un briqué dans l’autre. La réunion de l’UVF n’a pas donné grand-chose, on stagne tous, la pression est plus forte et j’ai bien senti que mes frères et les membres étaient impatients que je devienne bavarde.

Je ne peux pas échouer.

 

— Est-ce que je suis en train de parler à mon grand-frère ou au membre de l’UVF ? je rétorque.

 

Declan me jette un coup d’œil en allumant sa cigarette. Je ne les ai pas vus souvent et je ne les vois pas souvent en mission. Ils me manquent aussi, quand ils ne sont que mes frères.

 

— À ton frère, tu parles toujours à ton frère, Reen, me rassure-t-il.

 

— Pas avec Sheamus où Teague, j’ironise.

 

L’UVF les a totalement changés, surtout depuis deux ans, depuis… lui.

Je soupire en laissant la nuit envahir mon esprit.

 

— Que se passe-t-il ? Tu as l’air distante, insiste Declan, je m’inquiète, tu ne m’appelles plus aussi souvent pour débriefer. Cette mission est-elle trop dure ?

 

Je ferme les yeux, l’inquiétude de mon frangin est la seule de sincère, les autres, ne formulent qu’une formalité. Ils veulent des infos pas savoir comment je les obtiens et si ça me touche.

Mon cœur bat vite alors que des flashs du week-end me reviennent et j’annonce ma bombe. Celle qui va surprendre Declan et confirmer que mes pensées sont ailleurs et perdues.

 

— J’ai couché avec Kenan O’Shea le week-end dernier.

 

Touché.

Declan tire un peu plus fort sur sa clope en jurant. L’ambiance entre nous se fait palpable, je sens mon frère tendu, la surprise ne le quitte pas, et ses yeux me fuient, pas les miens.

 

— Dis quelque chose, je murmure au bout de quelques instants.

 

— Bordel, laisse-moi cinq secondes pour encaisser.

 

Sa voix n’est pas dure, il n’y a pas de colère juste de l’étonnement. Ça me rend encore plus mal à l’aise.

Declan finit par croiser mon regard bleu, l’inquiétude transforme ses traits beaux et familiers.

 

— Ne me regarde pas comme ça, je jure.

 

— Comme quoi ?

 

— Comme s’il m’avait souillé, je ne suis pas Neass. Je ne suis pas vierge et tu le sais.

 

Declan lève les yeux au ciel.

 

— Je sais que tu n’es plus vierge depuis longtemps, petite sœur, mais…

 

— J’ai baisé avec l’ennemi, je réponds pour lui.

 

Cette répétition nous fait nous raidir tous les deux. Le confier à Declan rend la chose encore plus vraie. Je ne l’ai pas rêvé et ce n’est plus mon secret. J’ai couché avec Kenan O’Shean et j’ai aimé ça, j’en voulais encore et je l’ai eu, et maintenant ? L’idée me fait frissonner.

Comment j’en suis arrivée à coucher avec lui ?

 

— J’ai couché avec lui et j’ai aimé ça Declan, c’est problématique, j’avoue.

 

Mon frère encaisse sans broncher, pourtant, ma déclaration le surprend vraiment. Va-t-il me juger ?

 

— Il y a toujours une forme de perversité qu’on aime à baiser avec l’ennemi, ça s’est vu dans l’histoire. Cléopâtre et César, Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, ironise Declan, c’est le comment tu as franchi la ligne qui m’intéresse et qui te perturbe.

 

Coulé, Eireen, il a vu juste.

 

— Pourquoi est-ce différent des autres ? Tu n’as jamais franchi la ligne avec les autres pions, souligne Declan.

 

Je ne cherche même pas à trouver des excuses, cette semaine m’a permis de faire le tri dans mes pensées. Je pense avoir trouvé quelques réponses.

 

— Parce qu’il est différent, ce n’est pas le monstre qu’on m’a dépeint.

 

Declan laisse tomber quelques cendres de sa cigarette, je l’entends jurer.

 

— C’est ce qu’il te montre. Dois-je te rappeler qu’il fait parti de l’IRA, qu’il n’hésiterait pas à tuer qu’il a posé plusieurs bombes qui ont blessé des innocents ?

 

Dois-je te rappeler que tu fais la même chose, Dec, et que tu ne te définis pas pourtant comme un monstre aussi ?

 

— J’ai conscience de ça, Declan, ce que j’essaie de te dire, c’est qu’il me montre une partie de lui, la bonne, une qui… me ressemble.

 

— Qui te ressemble ?

 

C’est à mon tour de rire jaune.

 

— En un mois, je n’ai pas eu l’impression de jouer un jeu. De me forcer.

 

— C’est que tu es de plus en plus douée, tente-t-il de me rassurer.

 

Ou de nous rassurer ?

 

— J’ai rencontré un adversaire coriace Declan, je poursuis, quelqu’un qui me fait me sentir… réelle. Parfois j’oublie que Kenan est ce qu’il est, c’est problématique.

 

— Ça l’est, jure-t-il.

 

Declan soupire à son tour, il termine sa clope, à mes côtés. Nous admirons la vue nocturne d’une ville éloignée de cette maison. Une ambiance étrange règne entre nous, celle du doute et de l’inquiétude. Declan n’aime pas me savoir seule, dans une existence qui convient à l’UVF.

 

— Tu ne sembles même pas en colère, je souligne pour rompre ce silence pesant.

 

— Ne le dis pas aux autres, parce que moi, si je peux admettre que baiser avec l’ennemi est… excitant, Teag où Sheamus vont péter un câble, même s’ils ont affirmé que pour le bien de l’UVF, ils s’en foutaient.

 

Declan croise mon regard, je me surprends à y interpréter de la… compréhension.

Comment fait-il ?

 

— Est-ce que t’as des sentiments pour lui ?

 

Sa question me sidère, elle me fait l’effet d’une baffe en pleine figure.

 

— Non ! Évidemment que non ! je m’emporte.

 

Je ne suis pas amoureuse de Kenan O’Shea, je ne pourrais pas, c’est une ligne que je ne franchirai jamais, c’est plus fort que moi.

Seulement…

 

— Seulement ? devine mon frère.

 

Je soupire encore, désespérée de ne pas tout contrôler comme d’habitude. Ce n’est pas aussi stérile qu’avec les autres pions.

 

— Seulement… il m’attire.

 

Il m’émeut aussi. Kenan dégage quelque chose d’indéfinissable, quelque chose qui me heurte en pleine poitrine, quelque chose qui me fait me sentir vivante en me faisant oublier le reste. Kenan me ressemble à bien des égards. Kenan semble être le pion le plus terrible à manipuler, parce que j’oublie parfois mon rôle à ses côtés.

Je me laisse dicter par une alchimie, ça ne m’était jamais arrivé, et ça me désarçonne, je ne cesse pas d’y penser. À ses mains sur mon corps, à son regard sur moi, à l’ambiance étouffante qui emballe mon cœur, à son souffle dans mon cou lorsqu’il s’enfonce en moi et cette sensation étourdissante, celle que je n’ai jamais ressentie dans les bras d’un homme.

Est-ce que je suis en train de me faire baiser moi aussi ? Au sens propre, comme au figuré ? Ma mission a pris un tournant radical depuis la grue. J’ai franchi la ligne et je ne sais pas comment faire pour vivre avec.

 

— Est-ce que tu veux arrêter ? m’interroge Declan avec sérieux.

 

— Non, vous avez besoin de moi.

 

Je n’hésite même pas, mais je ne cherche pas à comprendre pourquoi je ne veux pas arrêter.

 

— Eireen ?

 

— Oui ?

 

Declan caresse ma joue en affichant un air véritablement soucieux qui me surprend.

 

— Si l’attraction est trop forte, tu ne pourras pas lutter, mais qu’elle ne se transforme pas en amour. Tu peux succomber au désir, mais tu ne peux pas laisser la passion prendre le dessus. 

 

Son conseil me laisse… sans voix durant un petit moment. Declan m’attire contre lui et je me laisse bercer par son étreinte. Je l’ai sans doute surpris et déçu, mais il ne le montre pas. Il me soutient, parce qu’il sait que si je suis ici, dans le même merdier qu’eux, c’est en partie parce qu’ils y ont plongé les premiers.

 

— Est-ce que tu m’aimes toujours ? je demande à mon frère.

 

Un rire le gagne.

 

— Pourquoi je ne t’aimerais plus ?

 

— Parce que j’ai couché avec l’ennemi. Sheamus me renierait, je tente de plaisanter.

 

— Je ne peux pas te détester pour quelque chose que j’ai déjà fait. Je comprends.

 

Sa révélation me coupe le souffle, je me redresse de ses bras, Declan fuit mon regard et ses mots déclenchent une ambiance triste.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

 

— Tu sais, l’été de mes dix-sept ans.

 

— Oui ? je murmure, le cœur battant rapidement.

 

Est-ce que mon frère va m’avouer ce… secret mystérieux ?

 

— Il y avait cette fille, celle dont je n’ai jamais parlé à personne. Ryan n’arrêtait pas de me taquiner avec.

 

À la mention de son prénom, je m’arrête. Mon cœur se serre, il est devenu tellement tabou, tellement secret. Comme cette fille.

 

— Je me souviens, je réponds d’une voix tremblante.

 

— Elle était catholique.

 

Je me raidis, surprise de cette révélation. Declan n’a plus jamais reparlé de cette fille, mais elle l’a hanté, il n’a plus jamais mentionné cet été-là, sans être vague où… triste.

 

— Je suis tombé amoureux de l’image que j’avais d’elle, pas de sa réalité. J’ai pensé que ça ne pouvait pas être vrai, que quelqu’un d’aussi parfait ne pouvait pas être dans le camp adverse. Je me suis fourvoyé, j’y ai laissé quelques ailes, et un bout de moi-même. Ne tombe pas, n’idéalise pas, mais si succomber à l’attirance t’aide à garder la tête sur les épaules, ne résiste pas.

 

Il me jette un regard sérieux en sortant une autre clope du paquet planqué dans sa poche.

 

— Et n’en parle à personne. Certaines passions ne seront jamais acceptables. Chez nous, c’est impossible. Il faut séparer le corps de l’esprit.

 

— On dirait Eamon, je soupire en levant les yeux au ciel.

 

— Il n’a pas tout à fait tort. Protège-toi Eireen, ne tombe pas dans ses filets, O’Shea sait peut-être qui tu es et joue au même jeu que toi.

 

— Je doute qu’il sache.

 

— Qu’est-ce qui te fait croire le contraire ?

 

J’hésite un instant avant de répondre, pourtant, la franchise est notre crédo entre nous deux, alors…

 

— Je l’ai vu dans ses yeux. Il avait le même regard que toi lorsque tu avais dix-sept ans.

 

Declan écrase sa clope contre la rambarde du balcon avant même de la fumée, je lui ai cloué le bec visiblement.

Il ne me répond pas, je n’insiste pas plus, j’encaisse cette révélation, elle explique ses réactions face à mon propre aveu. J’aimerai lui poser des questions, mais je doute que Declan veuille me répondre.

Il a aimé l’ennemi…

 

— Merci de jouer avec le feu pour nous.

 

— C’est pour lui, pour eux.

 

— Je sais. Ryan me manque aussi.

 

Je ferme les yeux en tentant de ne pas laisser cette plaie se rouvrir. La fille de l’histoire chez les O’Shea, c’est moi.

C’est moi qui ai perdu un frère, un cousin, mais surtout mon frère. Ryan me manque terriblement. Et c’est la guerre qui nous l’a enlevé, cette guerre pour qui, les O’Shea, les Hennessy, l’IRA et l’UVF s’entretuent. Elle m’a pris mon frère, elle ne prendra pas mon cœur.

Commentaires

  • Waouh! Quelle intensité! Impatiente de découvrir la suite!

  • Bordel de couille ! Ce chapitre est intense
    Très dur ! Et ce qui est le plus dingue, c'est que ces 2 camps vivent ou ont vécu la même chose, la perte d'un être cher, tout les oppose mais tellement de choses pourraient les unir au fond
    Quelle tristesse !
    Merci les filles pour ce beau chapitre qui m'a pas mal chamboulé

  • Ce chapitre est effectivement très intense. Quel choix prendre quand ses sentiments vont à l encontre de ses convictions ? Ce combat qu'ils mènent chacun de leur côté les oppose et pourtant, ils sont tellement si proches.

  • il était intense dans les émotions se chapitre là. je deviens addict des personnages. c'est intérressant de découvrir d'autre personnage que les 2 protagonistes. il est difficile de prendre partie pour un clan où l'autre,... tout laisse a penser qu'à la fin y'aura que des perdant.

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