Irish War, Chapitre 11
CHAPITRE 11
Kenan
Je suis en sueur. Mon front goutte et ma concentration est à son maximum. On arrive dans la phase où la moindre erreur nous ferait exploser mon père et moi. Je tiens le tournevis et fixe ce petit bout de métal qui servira à tout faire péter. Voilà à quoi tient tout cet engin, à une petite vis qu’on a choisie méticuleusement au magasin de mon frère. Une vis plus petite que mon petit doigt. Une vis qui tourne à une vitesse lente pour être parfaitement fixée. C’est la première fois que je réalise cette étape. Nous ne sommes pas des experts en explosif, mais la précédente celle qui a explosé dans un hôtel et qui aurait dû prendre la vie de notre chère ex Première ministre anglaise, c’est mon père qui l’a réalisée. J’étais là, avec lui, à la place qu’il occupe actuellement, celle de celui qui regarde et qui récite des prières pour que tout se passe bien.
C’est stressant de sentir son regard en plus du reste, mais ça me rassure aussi. Si je fais quelque chose de mal il le verra directement. Je donne un dernier tour à la vis, je sens qu’elle est au bout, je dégage lentement ma main de l’engin pour examiner le résultat sans mon bras qui me cache la vue. Mon cœur semble reprendre sa course dans ma poitrine lorsque je vois que tout est fixé et qu’on est toujours en vie.
— Merci mon dieu ! soupire mon père.
Je ne sais pas si dieu à quelque chose à voir là-dedans, mais putain de bordel de merde merci !
On recule avec mon père, j’enlève les lunettes de sécurité et essuie mon front en me penchant pour respirer. La grosse main de John O’Shea vient percuter mon épaule qu’il serre ensuite comme pour me réconforter. Ma respiration est chaotique j’ai l’impression de sortir d’une apnée qui a trop duré. Toutes les phases sont stressantes, mais la préparation de la bombe est la plus délicate.
Je me laisse tomber sur le sol poussiéreux sus moi et constate avec effarement que mes mains tremblent énormément. Mon père s’éclipse quelques secondes, il revient avec deux bières, il m’en tend une et nous trinquons en silence. Je fixe l’établie devant nous, éclairer par une grosse lampe le tout ressemble à une table d’opération au milieu d’un vieux garage. Je bois quelques gorgées de ma bière en pesant à ce que je viens de faire. En pensant aux paroles d’Eireen le weekend dernier sur la guerre et la paix, sur la violence qui ne résout pas les conflits. J’ai adoré l’entendre parler ainsi, la voir défendre ses convictions alors qu’elle était entourée de gens qui pensent différemment. Ma petite infirmière n’a pas froid aux yeux et dieu que j’aime ça. La douceur c’est sympa pour les câlins ou pour les enfants, le reste du temps une femme, surtout dans notre monde, doit savoir montrer qu’elle existe indifféremment des hommes. La mienne en tous cas, doit avoir son caractère, elle doit me provoquer et me montrer d’autre façon de penser. Eireen fait tout ça et si les politiques avaient un dixième des couilles de cette femme peut-être que l’Irlande ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Peut-être qu’on pourrait vivre en paix en étant traité de la même façon que les protestants.
— On a terminé, lance mon père.
Je tourne la tête dans sa direction, il fixe lui aussi l’engin sur l’établi.
— Toujours pas de nouvelles ?
Il secoue négativement la tête. On va devoir la garder au chaud alors. Attendre qu’un représentant anglais daigne venir sur le sol irlandais. Cette bombe doit servir à ça, à détruire ceux qui dirigent et qui prennent des décisions qui n’arrangent qu’eux. Elle n’est pas destinée à la population, elle n’est pas là pour tuer des innocents, mais seulement des hommes et des femmes qui font de notre vie un calvaire en ne reconnaissant pas que le peuple catholique d’Irlande du Nord est victime de ségrégation de la part des protestants.
Mon cœur se serre à ses pensées, les paroles d’Eireeen reviennent sans cesse me confronter à es actes. Je prépare une putain de bombe. Que penserait-elle de ce que je viens de faire ? Depuis quand ce qu’une femme pense à un impact sur mes motivations ? C’est pour l’Irlande, c’est pour ma famille, rien n’a plus d’importance.
Je me frotte le visage, je sens le regard de mon paternel sur moi et je tente de reprendre pied.
— Est-ce que tu doutes ?
Je tourne la tête rapidement pour observer mon paternel. Il boit sa bière comme si de rien n’était, comme s’il ne venait pas de remettre en question mon engagement.
— Je suis un soldat de l’Irlande [1]jusqu’à la mort.
John O’shea repose sa bière, son regard bleu se plonge dans le mien, sans rien dire. J’ai prouvé plus d’une fois mon engagement dans l’armée, j’ai montré plus d’une fois que je ne veux qu’une chose, que l’Irlande soit libre, qu’elle ne soit plus sous le joug anglais. Qu’est-ce qui aurait pu changer mes motivations ?
— Nom de Dieu papa !
— Ne jure pas inutilement, Kenan.
Son ton est dur et froid.
— Tu crois qu’elle m’a retourné le cerveau.
— Je crois ce que je vois fils.
Je ricane en secouant la tête, j’aime beaucoup Eireen et ce qu’on vit ensemble me plait énormément, mais elle ne remet rien en cause.
— Ces idées sont différentes des tiennes et elle a un certain talent pour les démontrer. Elle est aussi très jolie, et intelligente et si elle n’était pas athée ta mère t’aurait poussé à l’épouser.
Le silence revient suite à sa tirade qui n’exprime rien d’autre que ce que je pense depuis le début mis qui n’est pas suffisant pour remettre mon implication en cause.
— Je dois vraiment te faire la leçon sur l’amour fils ?
— Quel amour ? Je ne suis pas amoureux d’elle.
Il se met à rire, puis il tape sa main sur mon épaule et se lève.
— Alors on s’est tout dit.
Je sais quand mon père ne croit pas ce que je dis. Je l’ai su le jour où je lui ai menti pour la première fois et que j’avais bien cassé la poupée de ma sœur. Quand il sait qu’on ment il a ce regard, un peu baissé sur le côté qui veut die « tu ne vas pas me la faire à moi ». Mais là je ne mens pas et pourtant c’est exactement le regard qu’il me tend.
— C’est la vérité papa, je me sens obligé de me justifier, et jamais je ne remettrai en cause mon investissement dans l’armée. Jamais. C’est l’Irlande mon objectif et aucune femme ne viendra remettre ça en jeu.
Mon père s’approche il a toujours ce foutu regard qui me fout en rogne.
— Je sais que tu crois ce que tu dis, c’est peut-être plus grave encore de se mentir que de faire face à la réalité. Mais si un jour ça doit changer Kenan, tu sais ce qui t’attend. Tu es mon fils et la dernière chose que je veux pour toi c’est te voir assassiner pour trahison. Meurs en héros, meurs pour l’Irlande, mais ne fais jamais honte à ta famille.
Il baisse un peu la tête et attend que je confirme que j’ai compris. J’hoche la mienne sans vraiment être certain de tout assimiler. Son discours semble froid, il ressemble plus à un chef de bataillon qui donne des ordres plus qu’à celle d’un père. Mais c’est ce que fait la guerre, elle éloigne les cœurs, il ne reste que l’honneur et le combat. Je ne lui en veux pas parce que derrière ce discours, il y a de l’inquiétude, il y a l’amour d’un père qui tente de me mettre en garde.
— Notre jour viendra, [2]je conclus.
Mon père hoche la tête et nous commençons à ranger le matériel une fois le débat clos, pourtant ses paroles restent bien présentes dans ma tête. Ses mots et Eireen.
***
Je ne devrais pas être là, pas ce soir. On avait conclu de se voir demain soir, parce qu’elle travail demain matin. Mais à peine rentrée chez moi, j’ai plongé sur le téléphone pour la joindre et lui demander qu’on se voit. Ma discussion avec mon père m’a retourné le cerveau il faut croire. Et peut-être pas dans le bon sens, parce que voir Eireen devient quasi vitale à cet instant. J’ai besoin de la toucher, de la sentir et de la voir. De savoir qu’elle est là et que ce que je ressens est normal pour une femme que je fréquente depuis quelque temps. Que je garde les pieds sur terre, mais en agissant ainsi, je ne suis pas certain que ce soit le cas.
Eireen franchit la porte de son immeuble un énorme sourire sur son visage adorable. Je ne peux qu’y répondre de la même façon, je la regarde s’avancer jusqu’à moi en écoutant U2 par mon walkman. Elle porte un jean et un haut rouge en v qui me laissent voir la naissance de sa poitrine sous un blouson en cuir qui le rend rebelle. Elle est magnifique avec ses cheveux tressés et le rouge sur ses joues. Elle est devant moi à présent, je ne suis pas descendue de mon vélo, Bono hurle dans mes oreilles et je reste à observer cette femme brulante qui fait faire des saltos à l‘organe dans ma poitrine.
Est-ce que je t’aime Eireen ? Est-ce que ça ressemble à ça d’être amoureux ? Est-ce que cette impression de flotter quand t’es là signifie que mes sentiments pour toi ne sont plus une simple attirance ?
Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je suis bien quand elle est là, quand elle me regarde comme ça et encore mieux quand elle accroche mon blouson et manque de me faire tomber de mon vélo pour venir m’embrasser. J’encadre son visage et picore ses lèvres, Eireen sourit et grogne à moitié pour en avoir plus. Je l’observe avant de céder, avant de laisser tomber mon vélo et de la serrer contre moi pour l’embrasser réellement Avec passion et tout ce que je ressens que ce soit de l’amour ou autre chose. Je sais juste que c’est bon quand elle est dans mes bras, qu’elle agite son corps et que sa langue ravage la mienne.
— On dirait que je t’ai manqué, dit-elle contre mes lèvres.
Je caresse ses joues, puis embrasse son nez avant de la relâcher.
— Prête, je demande pour fuir le sujet sentiment.
Eireen sourit, je ramasse mon vélo et grimpe dessus puis j’attends qu’elle me rejoigne. Lorsque je l’ai appelé, je lui ai proposé d’aller photographier les endroits qu’elle veut de nuit. Une excuse comme une autre et qui démontre que parfois j’écoute ce qu’elle me raconte.
L’infirmière finit par monter sur mon vélo, sur la barre entre moi et le guidon ; l’avoir ici me fait sourire, c’est débile, mais elle est là, contre moi et elle accepte d’explorer Belfast de nuit, de relever le danger avec moi. C’est qu’elle se sent en sécurité.
— T’écoutes quoi ? elle demande alors que j’allais démarrer.
J’enlève mon casque et le place sur ses oreilles. Son visage se tourne dans ma direction, elle me fait un clin d’œil en écoutant le son puissant de U2.
— Le meilleur groupe du monde, je lance tout bas.
Je lance le vélo sur la route et nous remontons sa rue. J’entends Eireen chanter « Where The Streets Have No Name »[3] en gitant un peu la tête et Belfast nous ouvre ses bras pour la nuit. Une nuit parfaite puisqu’elle est là.
On déambule dans les rues presque désertes de la ville, Eireen me demande de m’arrêter pour prendre quelques photos ici et là, on reste dans les quartiers neutres ceux où l’on ne risque pas grand-chose malgré l’heure tardive et puis je me souviens d’une fresque près du port, une qui doit être belle de nuit.
— Tu ne m’as pas encore montré tes dessins, je reprends alors qu’on sort de (trouver quartier).
— C’est vrai. Mais c’est très intime de montrer ce genre de choses.
Je souris en pensant que niveau intimité on a dépassé un stade depuis que j’ai vu son corps nu sous toutes les coutures.
— J’en envie de les voir, Eireen, j’ai envie de voir aussi où tu vis et ce que tu me caches de si interdit pour ne pas m’avoir laissé monter une seule fois depuis qu’on se connait.
Le silence s’installe quelques secondes, je me demande si je l’ai blessé si j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas alors qu’on déboule sur la grande avenue qui mène au port.
— J’ai une coloc, tu te souviens ? J’aimerai autant que tu viennes quand elle n’est pas là pour le moment.
— Pourquoi ?
Elle s’apprête à me répondre quand des gyrophares et une sirène manquent de nous faire chuter. La voiture nous double rapidement et vient nous couper la route dans un crissement de pneu digne d’un film d’action. Je stoppe rapidement le vélo à quelques centimètres de la carrosserie où on aurait pu s’encastrer.
— Putain de merde, je grogne.
Ni Eireen ni moi ne bougeons, choqué par l’intervention de la police et je sens déjà que les prochaines minutes vont s’avérer dangereuses.
Les flics descendent de leur voiture, deux gros bras qui affichent clairement leur animosité à notre encontre.
— Descendez. Et toi, lance l’un d’eux en me désignant garde les mains en l’air.
Eireen descend la première, je pose le vélo doucement au sol et exécute l’ordre en sachant que si je ne le fais pas il est capable de me tirer dessus.
— Qu’est-ce qui se passe, demande Eireen, on ne fait rien de mal on…
— La ferme, contre la voiture.
L’infirmière me lance un regard interloqué, je secoue la tête pour lui faire comprendre qu’il faut simplement obéir et ne pas discuter.
Ce n’est pas mon premier contrôle et je sais d’expérience qu’ils attendent seulement un faux pas de notre part pour le convertir en attaque et leur donner l’autorisation d’user de la violence.
Eireen se met contre la voiture, je la rejoins et tourne la tête dans sa direction, je reste impassible pour lui montrer que rien de grave ne va arriver.
Heureusement que je suis passé chez moi avant de venir la rejoindre sinon j’aurais mon sac à dos avec le plan d’une bombe à l’intérieur.
Les flics s’approchent derrière nous. L’un d’eux commence à me palper violemment, il sort mon portefeuille.
— O’Shea de Falls Road.
Ils se mettent à rire, puis il reprend sa palpation et sort mon walkman qu’il écrase directement. L’autre s’approche d’Eireen et commence à faire pareil avec elle.
— Hé ne la touche pas ! je gronde
Je vois ses mains se faire un malin plaisir de palper sa poitrine. Eireen ne reste pas sans rien faire alors que je prends un premier coup de matraque sur l’arrière des genoux.
— T’as pas à nos donner des ordres petit catho de merde.
Eireen se débat et donne un coup de pied à l’autre qui la pelote. Miss pacifiste n’apprécie pas qu’on la tripote. Le flic vient à bout de sa résistance et il tire sur ma chaine toujours à son cou ou trône la croix catholique.
Et merde ! Même si d’un côté il vaut mieux qu’elle passe pour une personne de cette religion plutôt qu’une traite qui flirte avec un catho.
— Toutes des putes ces catholiques.
— Elles prennent exemple sur les protestantes, je réponds.
Je devrais fermer ma gueule je le sais, mais je ne peux pas laisser Eireen se faire insulter sans répondre. C’est impossible pour moi, de voir ces enfoirés user de leur pouvoir pour la rabaisser et nous maltraiter.
Le flic me retourne et me plaque contre al voiture avant d’abattre son poing sur mon visage. Le choc me fait heurter la carrosserie derrière ma tête et j’ai l’impression d‘être une cloche qu’on sonne.
— Arrêter ! Vous n’avez pas le droit hurle Eireen.
Le droit malheureusement ils le prennent et un second coup vient s’abattre sur mon ventre. Mes abdos encaissent douloureusement et je me plie en deux en sentant du sang gouter de mon nez.
Je vois Eireen tenter d’échapper aux mains de l’autre flic qui la maintient en riant. Elle doit se calmer sinon il pourrait lui faire pire.
— Pas de catho ici, on n’en veut pas dans ce quartier, tu devrais le savoir bâtard d’O’Shea.
— On va partir, je réponds en observant le gros tas de merde au crâne dégarni qui me fait face.
— T’es entrée dans mon territoire sans y être autorisée et on a une règle ici. Ce qui entre nous appartient.
Il se redresse et s’approche d’Eireen, il soulève son menton et glisse un regard salace sur son corps. Elle est terrorisée, pourtant elle tente de garder la tête haute, son regard affronte fièrement son assaillant et je me dis qu’il est temps de clamer tout ça si je ne veux pas assister au viol de ma petite amie.
— On va partir chef, laisser nous partir.
C’est ce qu’il attend de moi, que je me rabaisse, que je prenne la place qu’il pense que je mérite. Celle de sous hommes, pas dignes de lui tenir tête. Je m’en fous, je le fais, je fais ce qu’il veut pour qu’il ne touche pas à un cheveu d’Eireen.
Il revient vers moi et m’observe, il me défie et ma volonté a du mal à s’exécuter, à se rabaisser de la sorte, à se dire que je vais m’écraser devant un flic protestant ; Mais un seul coup d’œil à Eireen toujours maintenue par l’autre flic me ramène à la réalité. Pas de place pour la fierté quand une vie est en jeu. Alors je baisse les yeux et me soumets docilement comme il l’exige. La seconde d’après, je reçois mon portefeuille en pleine tête, il tombe au sol et je me baisse pour le ramasser. Je reçois un autre coup de pied dans les côtes. Eireen hurle de nouveau puis il la relâche et s’en va comme ils sont arrivés.
À voiture, démarre sur les chapeaux de roues, en faisant grincer les pneus. Je reste au sol quelques secondes, l’infirmière à mes côtés, qui me demande si ça va et que je suis incapable de regarder tellement j’ai honte. Honte de ne pas m’être battue, de ne pas avoir était le soldat que je dois être et d’avoir seulement subit ce contrôle qui n’avait pas lieu d’être.
Voilà pourquoi je me bats, pour pouvoir marcher dans ma ville la tête haute sans craindre pour ma vie et celle des gens qui me sont cher. C’est pour pouvoir regarder la femme que j’aime sans me sentir autrement qu’en homme. C’est pour pouvoir vivre librement tout simplement.
[1] L'IRA provisoire se désigne par l'expression gaélique Óglaigh na hÉireann (« les Soldats d'Irlande ») ou comme Irish Republican Army.
[2] Tiocfaidh ár lá est une expression en langue irlandaise, ou gaélique irlandais qui peut être traduit par « Notre jour viendra ». C'est un slogan populaire pour les militants républicains d'Irlande du Nord (IRA, etc.).
[3] Where The Streets have No Name - U2 – The Joshua Tree - 1987
Commentaires
Ce chapitre est superbe. Et captivant Avec Le moment de l'arrestation et contrôle En pleine rue !!!
I can't believe the news today...
U2
Super chapitre les filles
I can't believe the news today...
U2
Super chapitre les filles