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Légion

  • Légion #2, Epilogue

    Épilogue

    Tristan

     

     

    Cinq ans plus tard.

    30 Avril 2018, Fête de Cameron.

    Camp Raffalli, Calvi, Corse.

     

     

    Je termine de saluer mes hommes en les félicitant pour le défilé. La cérémonie vient de se clôturer au Camp Raffalli où nous venons de fêter un an de plus à la Bataille de Camerone. Les festivités vont pouvoir commencer.

    Je cherche du regard si je vois mes proches. Mes parents doivent être venus avec Ezra et les siens. Notre compagnie est rentrée quelques jours avant Camerone d’une OPEX dont je suis bien heureux d’avoir terminé. C’était compliqué et difficile. Le genre de mission dangereuse qui rappelle de mauvais souvenirs.

    Même si on est des fous d’adrénaline, que d’une certaine façon, on aime aller à la guerre et servir la France, quand on prend de l’âge, avec l’expérience, on est simplement content de retrouver les siens après de longues séparations.

    Je n’ai pas besoin d’attendre bien longtemps, j’en connais une qui dès qu’elle a dû recevoir le feu vert, s’est mise à arpenter la place d’armes à ma recherche.

     

    — Papa !

     

    Je me tourne en entendant une voix d’enfant qui m’est plus que familière. Je découvre une tornade brune qui courre dans ma direction, un immense sourire déformant son visage d’ange, ses yeux bleus sont brillants de joie.

     

    — Livia, ma puce !

     

    J’éclate de rire en voyant la tenue de ma fille. Ma mère lui a effectivement fait son costume de parade qu’elle nous réclame depuis des mois.

    Livia continue de courir en riant, j’en profite pour l’observer.

    Elle a une ceinture bleue autour de la taille, des épaulettes semblables aux miennes, le tissu de sa robe est beige, et vert. Un adorable chapeau qui ressemble à mon képi trône fièrement sur sa petite tête. On dirait une version miniature d’un Repman en jupe.

    Je la prends dans mes bras quand elle arrive à ma hauteur pour la soulever. Elle ne pèse trois fois rien. Dès qu’elle est à hauteur de mon visage, ses petites mains encerclent mon cou et elle commence à me faire plein de bisous en riant.

     

    — Tu m’as manqué ! je lance à ma fille.

     

    — Toi aussi, papa !

     

    Je reviens de quatre mois d’OPEX en Syrie. On a envoyé fin 2017, des troupes militaires faire face au conflit grandissant des menaces terroristes de plus en plus présentes.

    Je ne dis pas que ça a été simple, c’est faux. La Syrie et l’Irak sont pires que l’Afghanistan. On voit des choses affreuses, on assiste à des affrontements d’une rare violence avec des hommes qui ne reculent devant rien. Les gens se rendent compte de l’importance des forces armées, même si tous ne sont pas d’accord avec nos agissements, la guerre contre le terrorisme est très médiatisée. Mais comme dans n’importe quel conflit, on ne parle que de ce qui est supportable pour la population, certaines horreurs sont tues, certains massacres et discriminations des populations sont mises sous silence également.

    Je continue de parler avec le Capitaine Louis Wagner, qui est devenu au fil des années, un véritable ami. Les choses n’avancent pas tellement concernant le traitement des SSPT. On a envoyé trois gars voir Wagner au cours de ses dernières années, les autres attendent de quitter la Légion ou d’atteindre le point de non-retour pour craquer. Parce qu’un roc finit toujours par s’effondrer en voyant ce que nous voyons, en vivant ce que nous vivons. Certains mettent des années à déclencher des signes que leur limite est atteinte. D’autres non.

    Mais ce contrôle total n’aide pas à extérioriser ce qu’on nous demande de taire et d’oublier.

    Je reconnais que l’aide du doc m’a permis de garder la tête sur les épaules suite à mon premier retour d’Afrique après Djibouti. Mais surtout, c’est de savoir que je n’avais pas le droit de flancher à nouveau parce que j’avais une famille qui m’attendait, qui comptait sur moi, m’a véritablement aidé. Certaines choses ont changé par rapport à mes premières années en tant que légionnaire. Surtout en ce qui concerne les missions et ce qui s’y passe.

    Ezra sait beaucoup de choses, certaines dont elle ne devrait pas savoir, mais ma femme est une tombe, une prison qui enferme les maux et prend soin de celui qui les porte.

    Livia commence à toucher mon képi, je fais de même avec le sien. On se taquine, elle rit et je savoure ce moment en tête à tête.

     

    — Plus tard, je serai légionnaire ! m’avoue Livia.

     

    — Avec ce charmant uniforme, tu as toutes tes chances, ma puce !

     

    Je commence à marcher dans la foule pour essayer de trouver sa mère. Nous n’avons pas pu nous voir avant aujourd’hui. Ezra était à Nice chez mes parents, mon frère Yoann était en pleine mission Sentinelle, ma petite sœur entre deux sorties entre filles et la fac de droit voulait voir sa nièce. On s’est croisé. Mais quoi de mieux que des retrouvailles aujourd’hui, alors que c’est un jour de fête.

    Je cherche Ezra parmi les visages inconnus, il y a beaucoup de monde cette année, je suis surpris.

     

    — Maman elle dit que tu es très beau aujourd’hui, m’explique Livia en tripotant mes insignes.

     

    — Maman trouve toujours que je suis beau, je réponds sans l’ombre d’une modestie.

     

    Livia me dévisage en prenant un air absolument pas convaincu.

    Ma fille m’a fait un bien fou. Je ne pensais pas qu’avoir un enfant me rende à ce point fier et heureux. Elle a tout basculé en arrivant. Comme sa mère, Livia m’a rendu dingue à la minute où je l’ai pris dans mes bras.

    Quand je la vois, elle me montre que le monde est encore beau et innocent. Elle me donne la motivation pour me battre encore et encore pour la savoir en sécurité.

    Livia est une raison de plus de s’accrocher quand je me retrouve dans un sacré merdier. Comme Ezra, elle représente ma paix, ma maison, et ce sentiment bouleversant d’appartenir à une famille aimante.

    Bien sûr, depuis sa naissance le soir de Noël, il y a toujours cette peur de briser le cœur de ma petite fille. Souvent je marche sur du charbon brûlant. Mais Livia est une enfant courageuse qui comprend beaucoup de choses. Nous ne lui cachons rien avec Ezra. Elle sait que son père fait un métier dangereux, elle apprend à vivre avec mon absence en savourant les moments où nous sommes tous réunis. C’est compliqué pour tout le monde, mais pas impossible. Livia m’amuse quand elle me dit : « je n’ai pas peur, parce que tu reviens toujours. ».

    Elle me rend fier, c’est mon carburant lorsque les choses deviennent compliquées. Je sais que ce n’est pas facile pour elle, comme ça ne l’est toujours pas pour Ezra. Savoir que je m’en vais, dans un autre conflit semblable à celui en Afghanistan pour combattre des hommes sans pitié.

    Ses copines ont un papa présent tous les jours, parfois, nous ne nous voyons pas pendant plusieurs mois, c’est très long pour elle, comme pour moi. Mais fonder une famille est dans l’ordre des choses, fonder une famille dans notre situation, c’est montrer aux autres que nous sommes comme eux, c’est se donner une raison de plus de se battre pour rentrer indemne. C’est un tout, une force qui peut se transformer en faiblesse, mais qui apporte tellement.

    Je me fige en sentant un corps se coller dans mon dos, suivis de deux mains froides se poser sur mes yeux, Livia rigole. Une voix féminine et très sexy résonne :

     

    — Alors, Adjudant Vial, on ne vient pas saluer sa femme ?

     

    — J’étais justement en train de la chercher, chef.

     

    — C’est vrai ! confirme Livia.

     

    Ezra s’écarte, je me tourne, pose Livia qui râle un peu. Je retrouve ma superbe corse. Ezra est magnifique, toujours aussi attirante, expressive et courageuse. Elle possède toujours son fort caractère et continue de me soutenir autant qu’elle me passionne.

    Je viens d’être nommé Adjudant, j’ai pris la tête de la section 2 depuis cinq mois. C’est étrange, mais ça me plait, je ne me verrais pas faire autre chose. Ma femme était presque plus heureuse que moi lorsque j’ai appris la nouvelle.

    Je lui souris, elle fait de même, je l’attire contre moi en passant une main autour de sa taille. Je retrouve son odeur gagne mes sens, je me penche pour l’embrasser. Nos bouches se retrouvent, un frisson nous gagne. La tension des retrouvailles mêlant désir est toujours aussi explosive.

    C’est nous.

    Je sais très bien qu’Ezra a déjà marchandé avec ses deux pères pour qu’ils nous gardent la petite toute la soirée, histoire qu’on se retrouve seuls quelques heures à profiter de l’autre et à user de notre devoir conjugal.

    J’essaie de la convaincre depuis deux ans d’avoir un autre enfant, mais la photographe au caractère bien trempée ne se laisse pas convaincre facilement, ça m’offre mainte et mainte possibilité de la travailler au corps. Je crois qu’au fond, elle aimerait profiter encore de Livia seule avant d’accepter qu’un autre mini Repman vienne squatter neuf mois.

    Sa main caresse ma joue, je sens déjà que sa proximité ne me laisse pas indifférent. Le temps passe, mais les sentiments qui nous lient ne s’estompent pas. J’ai l’impression que plus c’est fort. Je suis mordu d’elle.

     

    — Hé ! proteste notre fille de sa petite voix d’enfant, en secouant mon pantalon.

     

    Ezra rompt notre baiser en souriant contre ma bouche avant de jeter un coup d’œil un brin sermonneur à Livia. Quand on a deux femmes à la maison, il faut savoir leur partager le même temps. Si durant mon absence, elles sont collées l’une à l’autre comme deux sangsues, quand je reviens, elles adorent se livrer bataille.

     

    — Prête-moi ton père deux minutes.

     

    J’embrasse ma femme encore et encore en savourant le plaisir de la retrouvant. Elle m’a terriblement manqué. Même si nous cultivons l’art des lettres, des mails et des appels Skype tard le soir, c’est différent. Ça ne remplace pas sa présence, mais ça entretient la flamme.

    Je la regarde avec admiration, je mémorise de nouveau chacun de ses traits, ses yeux bleus qui brillent, sa peau blanche qui sera bientôt bronzée, ses cheveux noirs qui s’ondulent.

    Je suis fou d’elle, je ne lui dis pas souvent parce que malgré les années, certains mots sont toujours complexes pour moi, mais elle le sait, et je lui prouve. Je suis tellement fier d’elle, de ce qu’on a accompli ensemble durant ces cinq dernières années.

    Ezra continue les reportages à travers le monde sur des périodes plus courtes pour ne pas laisser Livia seule trop longtemps.

    On essaie de s’organiser entre nos deux métiers pour passer du temps tous ensemble le plus possible.

    La photographe vadrouille dans divers endroits plus beaux les uns que les autres. Je sais qu’un jour, la Corse voudra retenter l’expérience de rapporteur sur le terrain. Je me prépare doucement à cette idée. Pour l’instant, je fais mon possible pour l’éloigner et avec l’actualité, elle est plutôt raisonnable.

    Avec Livia, lorsque je ne suis pas là, elles continuent de créer ma grosse boite à souvenirs. M’emportant avec elles dans leur quotidien. Désormais, il y a six boites à polaroids.

    Les choses n’ont pas tellement changé en cinq ans. Savio travaille toujours pour le STARSO où il a pris des fonctions plus importantes. Le Corse s’est remis à chanter. James parcourt l’Europe pour jouer du piano, alternant entre composition et concert. Les deux hommes sont très présents dans notre vie et je ne saurais jamais comment les remercier suffisamment.

    Mes parents que j’aperçois nous faire signe restent tranquillement sur la Côte d’Azur. Mon frère est devenu Sergent de l’armée de terre française. On se croise quand on peut.

    Dario et Lésia font toujours partie de notre vie, l’autre belle corse a rencontré quelqu’un de proche à mon existence de militaire. Je n’en reviens toujours pas. Et Dario continue ses vadrouilles.

    On peut dire que nous sommes heureux même si tout n’est pas simple, même s’il y a des jours compliqués, des conflits, des problèmes à surmonter. On a atteint le pire, on sait gérer le reste.

    Je récupère ma fille dans mes bras, il n’en faut pas beaucoup à cette enfant pour être satisfaite. J’attrape la main de ma femme et nous rejoignons notre famille.

    On salue tout le monde, on échange quelques banalités avant de laisser notre fille aux bras de ses grands-parents pour s’éclipser quelques minutes.

    Avant que Livia nous repère, j’amène la photographe dans un coin tranquille pas trop éloigné, mais suffisamment pour profiter d’un instant encore en tête à tête. Je regarde qu’aucun gradé ne soit dans les parages, et me lance.

    Ezra me sourit lorsque son dos heurte le mur. Ses bras se nouent autour de mon cou, on se colle l’un à l’autre, c’est plus fort que moi, j’ai envie d’elle.

     

    — On ne saute pas cette année ? me demande-t-elle, taquine.

     

    Je souris à mon tour.

     

    — Comme une envie de s’envoyer en l’air, Madame Vial ?

     

    — Toujours, Repman, toujours.

     

    Sa main caresse ma joue.

     

    — Je t’aime.

     

    J’inspire en savourant l’effet que ces deux mots ont sur moi.

     

    — Moi aussi.

     

    Je profite de ce moment de calme avant d’aller passer la journée avec ma fille pour faire diverses activités.

    Je regarde Ezra qui fait de même, je la surprends à compter mes dix doigts en me scrutant avec attention pour vérifier que je suis toujours entier. Elle n’a pas changé.

    Je finis par l’embrasser de nouveau, puisque je ne peux rien faire d’autre.

    Un jour Ezra m’a écrit que je n’étais pas seulement un grade ni un matricule, que j’étais un homme en plus d’être un légionnaire.

    Dorénavant, elle m’a apporté la fierté d’être un mari et un père. Elle m’avait dit que je faisais partie du cercle très fermé des héros. Je n’ai pas besoin d’être le héros d’un monde, tant que je suis le leur, tout me va.

    Et comme dit ma mère avec son air sérieux, l’amour triomphe de tout, même de la guerre.

     

     

    FIN

     

     

    AMHELIIE