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  • Your Song, Epilogue

     

     

    Dix ans plus tard.

     

    Je me gare derrière la file interminable de voitures stationnées devant chez mon père, en soufflant de lassitude. Je suis crevé et le mot est faible, j’arrive à peine à tenir debout depuis ce matin et je ne rêvais que d’une chose, rentrer chez moi et dormir pour la semaine à venir. Mais c’est Noël et mon père a décidé que ce serait chez-lui cette année.

    J’ai pensé refuser, mais certaines personnes sont capables de me faire dire oui rien qu’avec un regard.

    Je descends de la voiture, le froid de décembre vient s’infiltrer sous mon blouson. Je me presse dans l’allée entre les voitures garées, je reconnais celle d’Ana à moitié sur la pelouse, ce qui risque de faire hurler mon père. Je m’arrête devant les marches qui mènent à la porte d’entrée pour regarder la maison voisine, celle où j’ai passé autant de temps, si ce n’est plus, que chez moi. Un sourire se dessine sur mon visage en revoyant Ana et ses taches de rousseur, pendue à sa fenêtre à me guetter avec sa lampe de poche. J’ai l’impression que c’était il y a un siècle alors que pourtant ça ne fait que dix ans.

    Je détourne le regard amusé, attiré par les bruits derrière la porte décorée d’une couronne de Noël, mon père a bien fait les choses on dirait. Noël quand je vivais ici, je le passais dans la maison d’à côté, avec la famille d’Ana et heureusement qu’elle était là, sinon je ne sais pas ce que cela aurait donné entre mon père, moi, sa rancœur et l’absence de ceux qui nous manquent.

    Je monte les marches, avant que la nostalgie devienne douleur et sans frapper, j’entre. La chaleur me foudroie autant que le froid me glace à l’extérieur. Je referme la porte en entendant mon père rire. Je reste surpris parce que je me sens sourire de l’écouter si joyeux.

    Je pose mon blouson sur le tas déjà présent dans l’entrée. Je m’avance en direction du salon en écoutant une voix bien familière qui m’a manqué ces trois dernières semaines, et qui me fait penser que j’ai laissé les cadeaux dans le coffre de la voiture.

    Je passe devant la cuisine ou Janice est occupée aux fourneaux. L’air respire Noël, les biscuits à la cannelle et l’odeur de la dinde dans le four.

     

    — Jared !

     

    La mère d’Ana délaisse sa sauce, s’essuie les mains sur son tablier puis s’approche de moi, un sourire tendre sur les lèvres et les bras ouverts. Je la serre contre moi pour la saluer.

     

    — Je ne t’ai pas entendu arriver.

     

    — C’est assez bruyant ici.

     

    Elle se détache de moi, ses mains toujours sur mes épaules, elle m’observe en souriant, elle a l’air heureuse qu’on se retrouve tous, ce soir.

     

    — Tu as l’air fatigué.

     

    Je souris en me frottant les yeux, effectivement je ne dois pas paraître au mieux de ma forme.

     

    — Ouais, mais ça va aller, je devrais survivre à cette soirée.

     

    — J’espère bien dit-elle ne me lançant un coup de torchon sur la tête, je me suis démenée pour ce repas, je ne veux pas voir ta tête tomber dans le plat.

     

    — Papa !

     

    Je me retourne, un sourire sincère plaqué sur le visage en voyant le visage d’ange de ma fille, surmonté de deux couettes blondes attachées par deux nœuds rouges, courir vers moi. Je me baisse pour la réceptionner dans mes bras.

    Ses petits bras me serrent contre elle, je fais pareil avec plus de force en la soulevant dans mes bras. Je ferme les yeux en respirant son odeur familière de produits de bébé que sa mère ne peut pas s’empêcher de mettre sur son visage.

     

    — Salut princesse, dis-je en embrassant ses joues rouges rebondies.

     

    — Tu m‘as ramené un cadeau de Los Angeles ?

     

    — Peut-être bien…

     

    J’ai droit au regard qui me fait fondre et qui m’a conduit ici ce soir. Keren a deux grands yeux noirs, semblables à ceux de ma mère et aux miens, les siens sont tellement tendres qu’on ne peut rien lui refuser.

     

    — Le Père Noël va passer dans quelques heures, lance Elena à l’entrée du salon, mademoiselle va peut-être attendre qu’il soit passé pour réclamer d’autres cadeaux.

     

    Je dépose Keren au sol, elle gratifie sa mère d’un regard noir, c’est elle la méchante et moi le gentil papa qui lui achète tout ce qu’elle veut et qui cède à tous ses caprices. Elle n’a que trois ans, mais elle a très vite compris que je suis fou d’elle et que le peu de temps que je passe avec elle c’est pour lui faire plaisir. Notre fille lève la tête d’une air revêche et passe devant sa mère pour rejoindre les autres dans le salon. Je ris en la voyant faire et même Elena ne peut retenir un sourire.

     

    — Tu sais que je te hais à chaque fois que tu pars et que je dois recadrer ce petit monstre, dit-elle une fois qu’on est seuls dans le couloir.

     

    J’appuie mon épaule contre le mur en l’observant. Elle me détaille du regard, tout passe sous ses yeux bleus et je sens venir un regain d’énergie dû au désir m’envahir. Elle s‘avance, doucement, je ne peux pas détourner le regard de son visage souriant, de cette douceur qui émane d’elle et qui me donne envie de plonger dans un lit pour être dans ses bras.

    Elle s’avance jusqu’à moi, je baisse les yeux pour ne pas la perdre du regard, mon cœur se gonfle en la voyant, je ne suis pas chez-moi, dans notre maison, mais rien qu’en la voyant je sais que je suis rentré. Elle porte le pull que ses parents lui ont ramené l’année dernière à la même époque, avec une maison en pain d’épice sur la poitrine. Je souris en me disant que j’ai échappé à cette horreur que Keren a sûrement exigé que sa mère porte parce que c’est Noël. Le pull a quand même quelque chose de bien, il est en V et son cou ainsi que la naissance de sa poitrine sont visibles. Sa peau me manque et je pose la main sur cette partie libre de vêtement en soupirant de bien-être quand je sens la chaleur et la douceur de sa peau.

    Elena se met sur la pointe des pieds et cherche à m’embrasser, je recule un peu pour retarder ce moment où je sentirai ses lèvres. Elle tente de garder son sérieux, de ne pas rire en me voyant faire le gamin capricieux aussi pénible que notre fille. Ma main glisse sur son sein que j’englobe avec plaisir. Je voudrais enlever ce foutu pull et tous les vêtements qui séparent mes mains de sa peau, de son corps dont j’ai envie.

     

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    Elena attrape ma nuque alors que je regardais sa poitrine se soulever plus rapidement et arrive enfin à ses fins en posant sa bouche sur la mienne. Je lâche sa poitrine, me redresse et encercle sa taille pour la presser contre moi pendant que sa langue entre dans ma bouche. Elle gémit dans ma bouche, m’encercle de ses bras et je retrouve le goût de la maison, de mon foyer, de ma famille et de celle que j’aime.

    Elle me manque à chaque fois que je pars en tournée ou en promo, elle, notre fille, notre vie de famille me manquent.

    Pourtant cette fois-ci ce n’était que 3 semaines et avec l’habitude je devrais m’y faire mais je n’y arrive pas. Même après quatre ans à chanter seul, j’ai encore ces reflexes de me tourner vers elle sur scène alors qu’elle n’est pas là. L’artiste me manque, la femme me manque, l’amante me manque, tout me manque quand je suis loin d’elle.

     

    — Bienvenue à la maison, dit-elle contre mes lèvres.

     

    Je pose mon front contre le sien et j’inspire son odeur à pleins poumons.

     

    — Tu as l’air épuisé.

     

    Sa main passe sur ma joue comme pour capturer la fatigue sur mon visage. Elle, elle rayonne, même si je la vois tous les matins compter les trois rides autour de ses yeux, elle est toujours aussi magnifique que quand je l’ai rencontrée. Ces dix années l’ont apaisée, elle a cette grâce de ces femmes qui approchent la quarantaine et qui deviennent plus sûres d’elles. La maternité a aussi laissé des traces sur son corps autant qu’elle l’a rendue heureuse. Je n’ai jamais vue Elena plus souriante que quand elle était enceinte. Cette famille elle l’a voulue, attendue, elle m’a attendu surtout, le temps que je sois moi aussi prêt à devenir père.

    Je ne sais pas ce qui me retenait le plus, savoir qu’à la minute où elle serait enceinte je la perdrais dans notre duo, ou me dire qu’un être supplémentaire dépendrait de moi alors que ma vie se passe sur scène.

    Elena a été claire dès le début, quand notre relation nous a menés sur ce sujet, avec un enfant elle arrêtera de chanter, parce qu’il était hors de question de le traîner sur la route et de le priver d’une vie normale. Égoïstement, je ne voulais pas, je voulais la garder avec moi et vivre encore cette alchimie musicale avec elle. Mais aujourd’hui, même si elle me manque, je n’imagine plus ma vie sans ma fille. Elena n’a pas arrêté la musique pour autant, elle est comme moi sur ce plan, elle en a besoin pour vivre, et à présent elle donne des cours particuliers de piano. Elle s’éclate avec ses élèves, même si ce n’est pas toujours simple de faire rentrer des méthodes à des novices.

     

    — Arizona n’est pas là ?

     

    Je la relâche en riant, puis je prends sa main et l’entraîne en direction du salon.

     

    — Ils ont décidé avec Jack de passer Noël sous le soleil californien.

     

    Elena grimace, un Noël sans froid et sans neige ça n’a pas la même saveur, mais Arizona et son mari apprécient le soleil et les cocktails au bord de la plage. On entre dans le salon, tout le monde est là, assis autour de la table basse, dans les canapés et par terre. Mon père, Ana, son fils de six ans Max, son frère Kevin qui est un jeune homme maintenant et ma fille qui fait le tour du sapin à quatre pattes sur le sol.

    Ana se lève et s’avance vers moi, son nez froncé et ses taches de rousseur bien présentes. Je l’embrasse en frottant ses cheveux courts, cette coupe que j’ai du mal à associer à elle.

     

    — Salut beau gosse ! T’as une tête à faire peur.

     

    — Merci, toi aussi t’es superbe.

     

    Ana me gratifie de son poing sur mon bras, son fils vient lui aussi me saluer. C’est le portrait de son père, des cheveux blonds foncés dans tous les sens, un regard (je sais plus ) et une allure de surfeur alors qu’il n’a que six  ans. Ana s’est mariée après sa première année de fac avec Daryl et quatre ans plus tard naissait Max. Aujourd’hui ils sont divorcés depuis un peu plus de  deux ans, un moment difficile pour Ana, qui se raccrochait comme elle pouvait à son mariage, en refusant de voir l’évidence que leur histoire était morte et que tout ce qui les retenait l’un à l’autre, c’est ce petit bonhomme souriant. Aujourd’hui elle va mieux, elle s’est remise, mais cet échec reste, elle pour qui une famille doit rester unie quoi qu’il arrive. Elle est devenue une conseillère financière féroce pour une grande banque New-Yorkaise et gère entre autre mon argent ainsi que celui de plusieurs richissimes clients. Si elle a échoué en amour, professionnellement elle est accomplie et bientôt elle se rendra compte que sa vie sentimentale ne s’arrête pas à un divorce.

    Mon père se lève, il fronce les sourcils en s’approchant de moi, le main tendue et je sais déjà ce qui va suivre.

     

    — Quelle vie tu mènes Jared, regarde toi, c’est à peine si tu tiens debout.

     

    Elena à mes côtés, prend mon bras et me pince pour que je ne réponde pas à cette remarque. C’est Noël et elle et ses idées de familles heureuses pour les fêtes ne laisseront pas passer un esclandre. Je me retiens de lui dire que je sors d’une tournée de trois semaines où j’ai laissé toute mon énergie sur scène parce que j’aime ça et que ça me rend heureux.

     

    — Toi aussi t’as l’air bien. Je finis par répondre en serrant sa main.

     

    Ma fille vient se fourrer dans ses jambes, elle adore son grand-père et il le lui rend bien. Mon père a eu l’air de ressusciter à la naissance de Keren, c’était comme s’il avait de nouveau une raison de vivre et j’en suis heureux. Autant pour ma fille que pour lui, leur complicité est attendrissante, voir cet homme abimé par la vie aussi guimauve face à cette petite tête blonde me fait toujours sourire. Même si, quand ma fille sera couchée, j’aurai droit à l’éternel couplet sur la vie d’artiste pas compatible avec la vie de famille. Pour lui, en plus de perdre du temps à chanter, je néglige aussi ma famille. Sur ce point je ne vais pas le contredire, j’ai raté les premiers pas de Keren, sa première rentrée à l’école et même l’anniversaire de ses deux ans. Ces moments précieux je les vois défiler sur photos ou sur vidéos, qu’Elena prend à chaque fois et je regrette à chaque retour, en regardant ma fille qui a encore grandi, de ne pas avoir été là. Mais la musique c’est ma vie, mon essence, ce qui me fait tourner rond et me motive chaque matin à me lever. Sans elle je ne serais même pas un père pour Keren, je serais un homme amer qui n’aurait pas supporté de sacrifier cette vie. Le succès je l’ai voulu, et maintenant que je l’ai, maintenant que je vis mon rêve, je ne peux pas arrêter, je n’y survivrais pas. Ma vie se passe sur scène où dans un studio d’enregistrement et si mon père ne le comprend pas, Elena elle le sait. Jamais elle ne me demandera de m’arrêter, parce qu’elle sait que ça me tuerait à petit feu.

    J’ai cette chance d’avoir trouvé cette femme, qui comprend mon besoin, qui l’a partagé avec moi durant quelques années et qui m’aime assez pour me soutenir. Sans elle ce ne serait pas pareil, sans savoir qu’elle est dans ma vie, qu’elle m’aime, que même si je suis loin bientôt je la retrouverai. Sans ses coups de fil tous les soirs, ses « je t’aime » chuchotés, accompagnés de « tu me manques », rentrer n’aurait pas le même intérêt et ma vie serait vide. Elle a toujours été cette pièce de puzzle qui remplit ma vie, c’est ma moitié, celle qui me connaît le mieux, qui me supporte et me soutient quoi qu’il arrive, elle est l’essentiel de ma vie, le principal, celle pour qui tout ça a un sens.

    Les années de notre relation ont connu des hauts et des bas, des moments de doutes, de peur, de se perdre, d’aller trop loin sans l’autre, de vivre des rêves différents et de s’éloigner.

    On n’a pas commencé par le plus simple, notre histoire avait tout pour finir par un désastre qui nous aurait coûté cher mais l’amour est au-dessus de ces préoccupations. L’amour que j’ai pour elle, se moque de ses rides qui apparaissent, il se moque qu’elle ait porté le nom d’un autre homme avant de porter le mien, comme il se moque du jugement des autres. Tout ça n’a pas d’importance quand je vois dans ses yeux à quel point elle est heureuse, quand je la vois sourire en regardant notre fille faire ses bêtises avant de prendre cet air dur que moi aussi j’ai connu à une époque, je sais qu’elle vit dans le bonheur. Je sais qu’elle est heureuse quand je lui fais l’amour et qu’elle me dit qu’elle m’aime.

    Moi aussi je l’aime, plus que tout et si la musique me rend vivant c’est Elena qui me fait vivre.

     

    FIN

     

     

    Maryrhage