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Irish War - Page 2

  • Irish War, Chapitre 10

    CHAPITRE 10

    Eireen

     

    Qu’est-ce qu’il m’a pris ? Pourquoi j’ai laissé parler ma fierté ? Pourquoi j’ai mentionné un avenir alors qu’il n’y en aura jamais ? Mon cerveau a grillé. Il ne s’agit rien de sérieux dans la réalité et si je n’étais pas perdue avec ce qu’il s’est produit ces dernières quarante-huit heures, je n’aurai pas laissé mon esprit divagué pour endosser le rôle d’une gourde qui tente de poursuivre sa mission.

    Kenan a eu l’air… surpris, puis blessé, pour finir par être… indéchiffrable. Est-il amusé par ce soudain pétage de plomb de ma part ?

    J’ai déconné avec lui. Je n’aurais pas dû m’emporter ainsi, j’aurais dû laisser couler. Pourtant, ce week-end m’a remué. Ne pas contrôler ce qu’il se passe entre nous me rend nerveuse. Je n’ai pas les cartes en ce moment même, j’avance en terrain inconnu, je déraille.

    Je dois me ressaisir, ce n’était qu’un week-end, qu’une baise, qu’un… pas en plus. Kenan m’accueille dans son intimité, je devrais être aux anges, j’entends déjà l’UVF hurler de joie. Pas moi. Tout se mélange, et en trois semaines, je n’ai jamais eu une telle impression de danger.

    Que m’arrive-t-il ? Un regard, une alchimie, une baise et on déglingue Eireen McNamara Hennessy ?

    Bordel non.

    Je tente de faire bonne figure, personne n’a distingué mon trouble. La journée s’est déroulée parfaitement, j’ai tenu mon rôle, chassant mes pensées, j’ai tenté d’en apprendre plus sur les habitudes de Kenan.

    J’ai discuté avec chaque membre voulant bien me parler, l’ambiance était sympathique, très familiale. Personne ne peut se douter que j’étais en présence de membres très actifs de l’IRA.

     

    — Alors Eireen, il parait que vous êtes… contre la guerre ?

     

    La question plombe directement l’ambiance du diner. Tous les O’Shea se tournent vers moi. Kenan glisse sa main sur mon genou, comme pour m’apporter un réconfort silencieux.

    Je ne perds pas mon sourire en dévisageant John O’Shea, le père de la fratrie.

    Apparemment, chez ses Irlandais, chaque soir de match, surtout les victorieux, est équivalent à un immense repas de famille. La tablée est immense, c’est… convivial, jusqu’à ce que la conversation devienne sérieuse. Comment a-t-il su ?

     

    — T’es pacifiste ? lâche Clare sur un ton un peu sec.

     

    Rory, Aidan et Eoghan laissent échapper un son amusé, comme si leur sœur venait de dire la blague la plus drôle de l’année.

    Je ne perds pas contenance alors qu’ils attendent tous une réponse.

    Non, je ne suis pas pacifiste dans la vraie vie.

     

    — N’oubliez pas de rajouter athée à mon CV, je plaisante en lançant un clin d’œil au patriarche.

     

    Voilà, Eireen, ça, c’est une réponse parfaite !

    Ma déclaration fait taire les derniers bavards, la mère de Kenan me jette un regard surpris, comme si je venais d’avouer le pire des secrets. Est-ce qu’elle imaginait déjà son fils à l’église avec moi ? Cette idée me fait… rire, surtout après la conversation hallucinante que nous avons eue. Nous ne nous connaissons que depuis un mois, je suis totalement fausse avec Kenan… enfin, c’est ce que je crois, une petite voix dans ma tête ne cesse de me tourmenter en me disant qu’il y a plus d’Eireen que de la miss McNamara quand je suis avec lui.

    Je chasse cette pensée.

     

    — Au moins, tu n’es pas Protestante, ironique, Canan, le seul frère de Kenan que je n’avais pas encore rencontré.

     

    Ce commentaire détend légèrement l’atmosphère, mais a peiné. Clare et John ne lâchent pas l’affaire, à croire que c’est impossible pour eux d’être pacifiste.

     

    — Athée, pacifiste, où tu l’as trouvé ? déclare John O’Shea en souriant, à l’intention de son fils.

     

    — Elle est tombée du ciel, plaisante Kenan en resserrant sa main.

     

    — Comment peut-on être pacifiste, jure Clare, la guerre ne vous a-t-elle rien pris ?

     

    Je me raidis, cette question sèche m’heurte en plein cœur. Elle est prononcée avec tellement de rancœur, avec la voix d’une femme brisée et blessée, une que je ressemblais avant de me lancer dans des missions séductions pour l’UVF.

    Si, la guerre m’a pris quelqu’un, elle m’a pris un bout de moi-même. 

     

    — Aucune cause ne mérite la mort de dizaine, de centaines ou de milliers de personnes. Si user de violence servait à quelque chose de positif dans les guerres, cela ferait bien longtemps qu’on le saurait, je rétorque pour ne pas répondre à la question.

     

    Je chasse la douleur de ma poitrine en gardant les pieds dans cette réalité, pas de place pour le passé. Clare, la grande brune semble davantage contrariée, les autres continuent de manger sans perdre une miette de l’affrontement. Kenan m’avait prévenu que sa sœur me testerait, qu’elle était sensible sur certains sujets.

     

    — Si user de mots servait à quelque chose, cela ferait bien longtemps qu’on le saurait, répète Clare en me foudroyant du regard.

     

    — Ta famille est… commence Eoghan, curieuse.

     

    Le questionnaire question réponse se poursuit, je suis toujours à l’aise avec ça.

     

    — Irlandaise d’adoption. Ma mère est… anglaise, mon père est irlandais.

     

    — Une bâtarde de patrie, jure Clare en manquant de s’étouffer avec sa bière.

     

    — Aie, plaisante Rory, ça fait comment d’avoir le cul entre deux chaises ?

     

    Je ne me dégonfle pas, je n’affiche pas un air tendu et j’espère que le regard de Kenan sur moi ne voit que l’assurance et la maitrise. Pourtant, au fond de moi, mon cœur saigne. Je me bats pour une cause moi aussi, pour que tout ça s’arrête, pour ne plus avoir à pleurer quelqu’un qui me manque.

     

    — Je le vis bien, puisque ce combat n’est pas le mien. Je me bats pour la paix, pour que les blessés d’une guerre puissent être réparés. Je n’ai pas de but politique, je n’ai pas envie de prendre parti. Il y a trop peu de personnes qui ne pensent pas comme moi, et les dégâts d’un conflit qui durent depuis des années, ne s’améliore pas. Il faut du changement, et quoi qu’il arrive, un des deux camps sera perdant.

     

    — Pas le nôtre, s’exclame Aidan avec fierté.

     

    Chaque O’Shea acquiesce à ses mots, Kenan aussi, sa main n’a pas quitté mon genou depuis la question de son père. Je fouille mon assiette, mais j’ai perdu l’appétit.

     

    — Et peut-être que le leur non plus, je rétorque avec assurance.

     

    Ma remarque les fait rire, elle ne les énerve pas, bien au contraire, elle les amuse. J’ai l’impression d’être une petite bête curieuse.

     

    — Vous êtes unique, souligne Daireen en me fixant. La guerre vous a-t-elle épargné ? Je pensais comme vous, avant de perdre mon frère, je vous souhaite de ne jamais connaitre ça. Même si je vous rejoins sur un point : une fois la paix gagnée, il n’y aura plus de morts pour un combat.

     

    Je souris en chassant ce souvenir déchirant de mon esprit. Celui qui m’a dévoré et a fait naitre une colère d’une violence inouïe.

    J’aurais voulu ne jamais connaitre cette douleur, Madame O’Shea.

    Mais je l’ai perdu, comme chaque famille irlandaise a perdu quelqu’un.

    À la place, je reste dans mes pompes de pacifiste.

     

    — Vous connaissez l’histoire des amants maudits, celle de Roméo et Juliette ? L’Irlande du Nord connait le même problème, deux familles qui se détestent, mais qui veulent la paix en se faisant la guerre. On connait tous la fin de Roméo et Juliette, et pardonnez-moi pour mon audace, mais ne craignez-vous pas, que dans votre lutte ou dans la leur, les gens que vous aimez vont être sacrifiés pour une cause probablement perdue d’avance ? Que ce soit dans un camp ou dans l’autre, je précise. La Guerre blesse plus qu’elle ne libère. Je crois au pouvoir des mots, pas à la violence. Je crois que tout le monde peut vivre égaux, si on établit des règles et si on prend des décisions justes pour les deux camps. L’Irlande du Nord connaitra quelque chose de nouveau, mais sans doute qu’à force de bataille, le seul combat remporté sera celui de ceux qui ont laissé s’entretuer ceux qui ne voulaient pas discuter.

     

    Le silence envahit l’immense salle à manger des O’Shea, chacun se jette un regard, surpris. Je m’attends à me faire virer de la maison, Kenan me dévisage avec un sourire en coin. Puis, Rory me sauve du malaise qui commence à naitre.

    Ai-je trop parlé pour un premier soir ? Suis-je ce stéréotype de la petite « conne » pacifiste ?

     

    — Hé bien… Kenan, rassure-moi, elle n’a pas de queue ?

     

    — Rory ! s’offusque leur mère.

     

    Kenan éclate de rire, suivi du restant de la famille.

     

    — Je t’assure que non.

     

    Sa main saisit la mienne, il la serre avec force et je ne saura interpréter ce geste.

     

    — Elle a du mordant, la petite athée, plaisante Fionna.

     

    — Elle en a, confirme l’irlandais en me jetant un regard en coin.

     

    La conversation reprend son court, personne ne souligne mes derniers propos, il règne une ambiance moins légère, empreinte de pensées différentes de celles qui hantent ce lieu. Est-ce que j’ai fait bonne impression ? Je n’en sais rien, mais je n’ai pas grillé ma couverture. Peut-être que je suis passée pour une faible, mais j’en doute. Ce soir, j’ai parlé avec mon cœur, j’ai raconté une histoire en la donnant à une autre alors qu’elle était la mienne et j’ai exprimé mes véritables pensées, celles que je garde enfouies en moi.

    Je sais que la Guerre s’annonce compliquée et au fond de mon esprit, une voix lucide m’a toujours dit qu’elle serait probablement perdue par les deux parties, mais ça, il n’y a qu’Eireen McNamara qui puisse le dire, Eireen Hennessy ne peut pas le penser, elle ne peut qu’espérer voir son camp l’emporter.

     

    ***

     

     

    On arrive devant chez moi, je lâche la main de Kenan. Le retour a été étrange, parsemé de non-dit, je ne savais pas quoi lui dire après cet étrange week-end où nous avons franchi la ligne. Cette soirée a été particulière et mes pensées n’ont pas cessé de me hanter.

    Est-ce que j’ai merdé ?

     

    — Eireen…

     

    — Je suis désolée, je m’excuse en détournant le regard, je n’aurai pas dû me laisser emporter avec ton père.

     

    Kenan saisit mon visage, il m’attire vers le sien, je note qu’il me sourit. Il n’a pas l’air… énervé.

    Merde, O’Shea, qu’est-ce qu’il te prend ? J’ai dit que t’allais perdre et que vous étiez des cons à vous battre comme ça, et tu souris ?

     

    — J’ai aimé que tu fasses taire toute ma famille.

     

    Waouh…

    La surprise doit se lire sur mon visage, parce qu’il laisse échapper un petit rire. Il m’enlace, j’encaisse la proximité de son corps en savourant le bienêtre que Kenan dégage.

     

    — Tu as l’air surprise.

     

    — Tu es catholique et visiblement… très impliqué pour… tes idéaux.

     

    Kenan se raidit à son tour, j’essaie de rester vague, mais vu la conversation de ce soir et leur réaction, n’importe qui aurait deviné en partie, ce que les O’Shea ont comme conviction. Il va falloir que nous en parlions pour notre « relation », même si moi, je sais déjà tout ça, Kenan l’ignore.

     

    — J’ai des convictions en effet, mais nous en parlerons un autre soir, laissons-nous diriger ton petit éclat de la soirée, me taquine-t-il.

     

    Je tente de ne pas montrer ma contrariété de le voir slalomer avec le sujet. J’ai été franche ce soir, c’est à son tour.

    Il le faut, pour moi, pour ce que je suis en train de faire. Je ne peux pas échouer.

     

    — Jamais personne n’a fait ça. Nous n’avons jamais rencontré quelqu’un… comme toi. Je n’ai jamais fréquenté quelqu’un comme toi et c’est ce qui me plait, ta fougue, tes idéaux différents des miens, mais pas opposé.

     

    Je suis ton opposée, Kenan, si tu savais.

    Je me blottis contre lui pour ne pas avoir à croiser son regard, son odeur virile me hante et me hantera toute la nuit, demain, nous reprenons la cour normale de notre vie, celle rythmée entre nos travails, nos flirts et cette ligne franchie. Que va-t-il se produire désormais ?

     

    — Ils me détestent maintenant, je tente de plaisanter.

     

    — Et moi, j’ai adoré, me confirme-t-il de nouveau.

     

    Kenan croise de nouveau mon regard, je prie pour qu’il ne dévoile rien de trop inquiétant. Je lui souris même.

     

    — Ma pacifiste, me taquine-t-il.

     

    Je lui envoie un coup dans l’épaule, ça l’amuse et ça soulage l’ambiance pesante entre nous, des questions demeurent, il me faut absolument des réponses.

     

    — Je t’appelle ? déclare Kenan au bout d’un moment.

     

    — Tu veux encore de la pacifiste qui cloue le bec à ta famille ? je l’interroge en usant de mon ton rauque qui le fait craquer.

     

    Je sens son érection contre mon ventre. Voici la meilleures des réponses au cœur de cette nuit étrange.

     

    — Elle me fait bander, chuchote-t-il à mon oreille.

     

    Je souris, ou plutôt, je sens naitre cette vague de chaleur dans mon ventre, celle provoquée par notre alchimie.

    La honte, le plaisir, l’interdit, notre interdit.

     

    — C’est sincère ? je le provoque encore.

     

    — Oui.

     

    Kenan se penche pour m’embrasser, ses lèvres trouvent les miennes et m’offrent un contact léger, mais électrique qui m’attire des frissons.

     

    — J’ai besoin d’en savoir plus Kenan, sur toi, sur la guerre, sur ce que tu en penses.

     

    Kenan acquiesce, à contrecœur, mais il comprend. C’est… primordial. Même pour une relation synonyme d’amusement. C’est ce qu’on est à ses yeux d’après ce que j’ai compris, ou alors, il y a un espoir de plus à ses yeux, il l’a laissée transparaitre aussi. Je ne sais pas encore, mais je ne peux pas être qu’une distraction, il faut que je sois un tout, une obsession. Une nécessité, une amante et une amie.

    Il me manque la première.

     

    — Eireen ? murmure-t-il contre ma bouche.

     

    — Oui ?

     

    Un frisson nait sur ma peau lorsque Kenan agrippe mes hanches pour me plaquer contre lui avec plus de ferveur.

     

    — Aujourd’hui était étrange, est-ce que je t’ai fait flipper avec notre conversation ? Je ne veux pas que tu penses que je ne tiens pas à toi. Seulement… c’est nouveau pour moi, c’est nouveau et absolument pas ce, à quoi je m’attendais, j’ai besoin d’un temps d’adaptation, j’ai besoin… de prendre le temps de comprendre, d’y aller en douceur. Je ne veux pas être un connard, pas quand j’ai une superbe femme dans mes bras, à qui j’ai laissé ma croix autour de son cou.

     

    Ses paroles me laissent sans voix, elles m’achèvent, et me font penser que Kenan ne sait pas nous plus comment définir ce qu’il nous arrive.

    Nous flirtons, mais est-ce qu’un plus commence à naitre depuis notre franchissement ?

    Je ne sais plus quoi penser.

    Je l’embrasse une dernière fois pour le faire taire, j’en ai assez entendu, j’ai besoin de faire le point, besoin de le chasser et de chasser certaines sensations.

    Je rentre chez moi, le cœur serré, avec une impression étrange, celle de valser de plus en plus entre celle que je suis, et celle que je joue. Où est la limite ? Où est la distance ? Pourquoi j’ai la sensation de rester cette Eireen, celle qui doit faire succomber Kenan alors que je monte les marches vers mon appartement ?

     

    — Tout va bien ? m’interroge Cait en me voyant entrer.

     

    Je secoue la tête en voyant ma meilleure amie, elle est dans le salon en train de regarder un documentaire nocturne, comme si elle m’attendait.

    Je me dirige vers la cuisine pour sortir la bouteille de Whisky qu’on cache. Je saisis deux verres avant de revenir vers elle.

     

    — C’est dur, je déclare d’une voix morne en m’asseyant à ses côtés.

     

    Ma meilleure amie éteint le téléviseur.

     

    — Oh…

     

    Nos regards se croisent, j’ouvre la bouteille pour nous verser deux verres, je lui tends le sien.

     

    — J’ai besoin de parler, j’avoue.

     

    — Je t’écoute.

     

    Je vide mon verre d’un trait avant de raconter mon week-end à la seule personne présente capable de comprendre mon trouble sans me juger.

     

    ***

     

    Une semaine plus tard.

     

    Je n’ai pas mis de distance avec Kenan, mais nous n’avons pas pu nous voir. Je crois qu’il avait à faire et moi… j’ai eu besoin d’un peu d’air pour encaisser ce week-end, pour réfléchir et maitriser mes émotions. Je suis perdue et j’ai perd d’avoir merdé. Nos instants dérobés au temps me hantent, je n’arrive pas à regretter, je ne fais que les aimer. Son corps contre le mien, notre complicité, son regard me dévorant et cette sensation de tout oublier.

    Où est la Eireen que je connais ? Je ne dois pas succomber à l’alchimie, cette traitresse ne m’oublie pas et Kenan non plus, sa voix hante à son tour mon répondeur chaque soir.

    Il me manque et ça me terrifie. La réalité me rattrape, je dois l’espionner, pas flirter pour mon plaisir personnel.

     

    — T’as l’air préoccupé, petit sœur, déclare Declan en fermant la porte du balcon derrière lui.

     

    Je ne me tourne pas, je reste là, à admirer les étoiles du ciel dégagé. J’aime les nuits d’été dégagées pour ça.

    Mon frère vient à mes côtés, une clope en main, un briqué dans l’autre. La réunion de l’UVF n’a pas donné grand-chose, on stagne tous, la pression est plus forte et j’ai bien senti que mes frères et les membres étaient impatients que je devienne bavarde.

    Je ne peux pas échouer.

     

    — Est-ce que je suis en train de parler à mon grand-frère ou au membre de l’UVF ? je rétorque.

     

    Declan me jette un coup d’œil en allumant sa cigarette. Je ne les ai pas vus souvent et je ne les vois pas souvent en mission. Ils me manquent aussi, quand ils ne sont que mes frères.

     

    — À ton frère, tu parles toujours à ton frère, Reen, me rassure-t-il.

     

    — Pas avec Sheamus où Teague, j’ironise.

     

    L’UVF les a totalement changés, surtout depuis deux ans, depuis… lui.

    Je soupire en laissant la nuit envahir mon esprit.

     

    — Que se passe-t-il ? Tu as l’air distante, insiste Declan, je m’inquiète, tu ne m’appelles plus aussi souvent pour débriefer. Cette mission est-elle trop dure ?

     

    Je ferme les yeux, l’inquiétude de mon frangin est la seule de sincère, les autres, ne formulent qu’une formalité. Ils veulent des infos pas savoir comment je les obtiens et si ça me touche.

    Mon cœur bat vite alors que des flashs du week-end me reviennent et j’annonce ma bombe. Celle qui va surprendre Declan et confirmer que mes pensées sont ailleurs et perdues.

     

    — J’ai couché avec Kenan O’Shea le week-end dernier.

     

    Touché.

    Declan tire un peu plus fort sur sa clope en jurant. L’ambiance entre nous se fait palpable, je sens mon frère tendu, la surprise ne le quitte pas, et ses yeux me fuient, pas les miens.

     

    — Dis quelque chose, je murmure au bout de quelques instants.

     

    — Bordel, laisse-moi cinq secondes pour encaisser.

     

    Sa voix n’est pas dure, il n’y a pas de colère juste de l’étonnement. Ça me rend encore plus mal à l’aise.

    Declan finit par croiser mon regard bleu, l’inquiétude transforme ses traits beaux et familiers.

     

    — Ne me regarde pas comme ça, je jure.

     

    — Comme quoi ?

     

    — Comme s’il m’avait souillé, je ne suis pas Neass. Je ne suis pas vierge et tu le sais.

     

    Declan lève les yeux au ciel.

     

    — Je sais que tu n’es plus vierge depuis longtemps, petite sœur, mais…

     

    — J’ai baisé avec l’ennemi, je réponds pour lui.

     

    Cette répétition nous fait nous raidir tous les deux. Le confier à Declan rend la chose encore plus vraie. Je ne l’ai pas rêvé et ce n’est plus mon secret. J’ai couché avec Kenan O’Shean et j’ai aimé ça, j’en voulais encore et je l’ai eu, et maintenant ? L’idée me fait frissonner.

    Comment j’en suis arrivée à coucher avec lui ?

     

    — J’ai couché avec lui et j’ai aimé ça Declan, c’est problématique, j’avoue.

     

    Mon frère encaisse sans broncher, pourtant, ma déclaration le surprend vraiment. Va-t-il me juger ?

     

    — Il y a toujours une forme de perversité qu’on aime à baiser avec l’ennemi, ça s’est vu dans l’histoire. Cléopâtre et César, Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, ironise Declan, c’est le comment tu as franchi la ligne qui m’intéresse et qui te perturbe.

     

    Coulé, Eireen, il a vu juste.

     

    — Pourquoi est-ce différent des autres ? Tu n’as jamais franchi la ligne avec les autres pions, souligne Declan.

     

    Je ne cherche même pas à trouver des excuses, cette semaine m’a permis de faire le tri dans mes pensées. Je pense avoir trouvé quelques réponses.

     

    — Parce qu’il est différent, ce n’est pas le monstre qu’on m’a dépeint.

     

    Declan laisse tomber quelques cendres de sa cigarette, je l’entends jurer.

     

    — C’est ce qu’il te montre. Dois-je te rappeler qu’il fait parti de l’IRA, qu’il n’hésiterait pas à tuer qu’il a posé plusieurs bombes qui ont blessé des innocents ?

     

    Dois-je te rappeler que tu fais la même chose, Dec, et que tu ne te définis pas pourtant comme un monstre aussi ?

     

    — J’ai conscience de ça, Declan, ce que j’essaie de te dire, c’est qu’il me montre une partie de lui, la bonne, une qui… me ressemble.

     

    — Qui te ressemble ?

     

    C’est à mon tour de rire jaune.

     

    — En un mois, je n’ai pas eu l’impression de jouer un jeu. De me forcer.

     

    — C’est que tu es de plus en plus douée, tente-t-il de me rassurer.

     

    Ou de nous rassurer ?

     

    — J’ai rencontré un adversaire coriace Declan, je poursuis, quelqu’un qui me fait me sentir… réelle. Parfois j’oublie que Kenan est ce qu’il est, c’est problématique.

     

    — Ça l’est, jure-t-il.

     

    Declan soupire à son tour, il termine sa clope, à mes côtés. Nous admirons la vue nocturne d’une ville éloignée de cette maison. Une ambiance étrange règne entre nous, celle du doute et de l’inquiétude. Declan n’aime pas me savoir seule, dans une existence qui convient à l’UVF.

     

    — Tu ne sembles même pas en colère, je souligne pour rompre ce silence pesant.

     

    — Ne le dis pas aux autres, parce que moi, si je peux admettre que baiser avec l’ennemi est… excitant, Teag où Sheamus vont péter un câble, même s’ils ont affirmé que pour le bien de l’UVF, ils s’en foutaient.

     

    Declan croise mon regard, je me surprends à y interpréter de la… compréhension.

    Comment fait-il ?

     

    — Est-ce que t’as des sentiments pour lui ?

     

    Sa question me sidère, elle me fait l’effet d’une baffe en pleine figure.

     

    — Non ! Évidemment que non ! je m’emporte.

     

    Je ne suis pas amoureuse de Kenan O’Shea, je ne pourrais pas, c’est une ligne que je ne franchirai jamais, c’est plus fort que moi.

    Seulement…

     

    — Seulement ? devine mon frère.

     

    Je soupire encore, désespérée de ne pas tout contrôler comme d’habitude. Ce n’est pas aussi stérile qu’avec les autres pions.

     

    — Seulement… il m’attire.

     

    Il m’émeut aussi. Kenan dégage quelque chose d’indéfinissable, quelque chose qui me heurte en pleine poitrine, quelque chose qui me fait me sentir vivante en me faisant oublier le reste. Kenan me ressemble à bien des égards. Kenan semble être le pion le plus terrible à manipuler, parce que j’oublie parfois mon rôle à ses côtés.

    Je me laisse dicter par une alchimie, ça ne m’était jamais arrivé, et ça me désarçonne, je ne cesse pas d’y penser. À ses mains sur mon corps, à son regard sur moi, à l’ambiance étouffante qui emballe mon cœur, à son souffle dans mon cou lorsqu’il s’enfonce en moi et cette sensation étourdissante, celle que je n’ai jamais ressentie dans les bras d’un homme.

    Est-ce que je suis en train de me faire baiser moi aussi ? Au sens propre, comme au figuré ? Ma mission a pris un tournant radical depuis la grue. J’ai franchi la ligne et je ne sais pas comment faire pour vivre avec.

     

    — Est-ce que tu veux arrêter ? m’interroge Declan avec sérieux.

     

    — Non, vous avez besoin de moi.

     

    Je n’hésite même pas, mais je ne cherche pas à comprendre pourquoi je ne veux pas arrêter.

     

    — Eireen ?

     

    — Oui ?

     

    Declan caresse ma joue en affichant un air véritablement soucieux qui me surprend.

     

    — Si l’attraction est trop forte, tu ne pourras pas lutter, mais qu’elle ne se transforme pas en amour. Tu peux succomber au désir, mais tu ne peux pas laisser la passion prendre le dessus. 

     

    Son conseil me laisse… sans voix durant un petit moment. Declan m’attire contre lui et je me laisse bercer par son étreinte. Je l’ai sans doute surpris et déçu, mais il ne le montre pas. Il me soutient, parce qu’il sait que si je suis ici, dans le même merdier qu’eux, c’est en partie parce qu’ils y ont plongé les premiers.

     

    — Est-ce que tu m’aimes toujours ? je demande à mon frère.

     

    Un rire le gagne.

     

    — Pourquoi je ne t’aimerais plus ?

     

    — Parce que j’ai couché avec l’ennemi. Sheamus me renierait, je tente de plaisanter.

     

    — Je ne peux pas te détester pour quelque chose que j’ai déjà fait. Je comprends.

     

    Sa révélation me coupe le souffle, je me redresse de ses bras, Declan fuit mon regard et ses mots déclenchent une ambiance triste.

    Qu’est-ce que cela veut dire ?

     

    — Tu sais, l’été de mes dix-sept ans.

     

    — Oui ? je murmure, le cœur battant rapidement.

     

    Est-ce que mon frère va m’avouer ce… secret mystérieux ?

     

    — Il y avait cette fille, celle dont je n’ai jamais parlé à personne. Ryan n’arrêtait pas de me taquiner avec.

     

    À la mention de son prénom, je m’arrête. Mon cœur se serre, il est devenu tellement tabou, tellement secret. Comme cette fille.

     

    — Je me souviens, je réponds d’une voix tremblante.

     

    — Elle était catholique.

     

    Je me raidis, surprise de cette révélation. Declan n’a plus jamais reparlé de cette fille, mais elle l’a hanté, il n’a plus jamais mentionné cet été-là, sans être vague où… triste.

     

    — Je suis tombé amoureux de l’image que j’avais d’elle, pas de sa réalité. J’ai pensé que ça ne pouvait pas être vrai, que quelqu’un d’aussi parfait ne pouvait pas être dans le camp adverse. Je me suis fourvoyé, j’y ai laissé quelques ailes, et un bout de moi-même. Ne tombe pas, n’idéalise pas, mais si succomber à l’attirance t’aide à garder la tête sur les épaules, ne résiste pas.

     

    Il me jette un regard sérieux en sortant une autre clope du paquet planqué dans sa poche.

     

    — Et n’en parle à personne. Certaines passions ne seront jamais acceptables. Chez nous, c’est impossible. Il faut séparer le corps de l’esprit.

     

    — On dirait Eamon, je soupire en levant les yeux au ciel.

     

    — Il n’a pas tout à fait tort. Protège-toi Eireen, ne tombe pas dans ses filets, O’Shea sait peut-être qui tu es et joue au même jeu que toi.

     

    — Je doute qu’il sache.

     

    — Qu’est-ce qui te fait croire le contraire ?

     

    J’hésite un instant avant de répondre, pourtant, la franchise est notre crédo entre nous deux, alors…

     

    — Je l’ai vu dans ses yeux. Il avait le même regard que toi lorsque tu avais dix-sept ans.

     

    Declan écrase sa clope contre la rambarde du balcon avant même de la fumée, je lui ai cloué le bec visiblement.

    Il ne me répond pas, je n’insiste pas plus, j’encaisse cette révélation, elle explique ses réactions face à mon propre aveu. J’aimerai lui poser des questions, mais je doute que Declan veuille me répondre.

    Il a aimé l’ennemi…

     

    — Merci de jouer avec le feu pour nous.

     

    — C’est pour lui, pour eux.

     

    — Je sais. Ryan me manque aussi.

     

    Je ferme les yeux en tentant de ne pas laisser cette plaie se rouvrir. La fille de l’histoire chez les O’Shea, c’est moi.

    C’est moi qui ai perdu un frère, un cousin, mais surtout mon frère. Ryan me manque terriblement. Et c’est la guerre qui nous l’a enlevé, cette guerre pour qui, les O’Shea, les Hennessy, l’IRA et l’UVF s’entretuent. Elle m’a pris mon frère, elle ne prendra pas mon cœur.

  • Irish War, Chapitre 9

    CHAPITRE 9

    Kenan

     

    Cela faisait bien longtemps qu’une fille n’avait pas squatté mon canapé-lit ultra confortable. Et encore moins à midi un samedi. Le peu de filles que j’emmène chez moi prennent ce qu’elles veulent de moi et ne s’éternisent pas pour le petit déjeuner. Mais Eireen c’est différent. Pourquoi ? Peut-être parce que j’ai pris mon pied à des dizaines de mètres du sol avec elle, peut-être parce qu’elle a une audace qui me coupe le souffle et que la regarder allonger sur le ventre le corps à moitié couvert par mes draps est plus qu’agréable.

    Je m’approche et m’assois sur le bord du canapé. Eireen remue un peu, le drap quitte totalement son corps et mes yeux n’en ratent pas une miette. J’ai touché son corps toute la nuit, elle a fini par s’endormir dans mes bras et pourtant je ne me lasse pas de la regarder.

    Ma main glisse sur son dos puis sur ses fesses qui me rappellent de bons souvenirs. Elle gémit dans son sommeil en frottant son visage sur l’oreiller. Elle est du côté du ressort récalcitrant et quelque chose me dit qu’elle va avoir de belles courbatures si en plus on ajoute les efforts physiques de cette nuit.

     

    — Kenan ?

     

    — Hum ? je réponds en continuant de la caresser.

     

    — Tu me mates depuis combien de temps ?

     

    Ma main s’arrête entre ses cuisses au-dessus de ses genoux en entendant sa question.

     

    — Si je réponds quinze minutes ?

     

    — Je te classe dans les pervers, dit-elle en croisant mon regard.

     

    — Et trente ?

     

    — Dangereux psychopathe à fuir d’urgence !

     

    Elle se retourne et attrape le drap pour se couvrir et me priver de la vue.

     

    — Cinq minutes, je soupire de déception.

     

    — OK, tu es dans la classe menteur, mais je peux m’en accommoder si tu me donnes cette tasse de café que tu as entre les mains.

     

    Je me lève rapidement et entraine le drap avec moi en reculant de quelques pas. Eireen sourit amusée.

     

    — Il va falloir venir le chercher, je lance après avoir bu une gorgée.

     

    Le regard de défi qu’elle me lance me fait immédiatement bander. Cette femme est en train de me rendre dingue avec son corps, mais aussi par son caractère. Elle est ce que l’Irlande représente : forte, têtue, curieuse, talentueuse, généreuse, drôle et intelligente. Elle est parfaite. Elle pourrait être un membre de l’IRA, elle pourrait se battre pour notre cause si elle n’était pas de ceux qui ne se mouillent pas. Ce qui est son seul défaut. Un défaut étrange pour quelqu’un qui a autant de caractère.

    Eireen me sort de mes pensées lorsqu’elle se lève. Mon regard glisse sur son corps pendant qu’elle s’avance jusqu’à moi. Ses seins lourds et tendus, ses tétons roses que ma bouche a adoré gouter. Son ventre chaud et doux et ses hanches larges sur lesquelles mes mains se sont accrochées cette nuit. Eireen prend la tasse, elle boit une gorgée en plongeant son regard dans le mien.

     

    — Il va falloir me rendre ça, je lance en tirant un peu sur ma chaine à son cou, même si j’aime bien te voir avec, si ma mère remarque que je ne l’ai plus, je risque de ne pas survivre à sa colère.

     

    — Ta mère ?

     

    J’enlace ma petite blonde adorable sous son air surpris.

     

    — Notre sixième rendez-vous, tu as oublié ?

     

    — Aujourd’hui ?

     

    — Aujourd’hui, pour le match.

     

    — Le match ? elle demande en reculant d’un pas.

     

    Je la ramène contre moi, un peu trop fort et de café s’échappe de la tasse. Je caresse son visage levé dans ma direction.

     

    — Dans quel pays tu vis Eireen ? je demande avec sérieux.

     

    Elle ne prend pas parti dans le conflit et elle n’est pas au courant des matchs de rugby. Si elle ne buvait pas de whisky, je la prendrais pour autre chose qu’une Irlandaise. Eireen est différente du genre de filles que j’ai connu jusqu’ici et c’est ce qui me plait en elle. Elle n’est pas simple à comprendre, elle est pleine de défi et de découvertes.

     

    — Je me le demande parfois, elle soupire, j’avais simplement oublié que c’était aujourd’hui.

     

    Elle s’échappe et se retourne toujours nue pour rejoindre la petite cuisine. Je lorgne son cul magnifique alors qu’elle me parle.

     

    — Kenan ?

     

    Elle s’est retournée, les mains sur les hanches si elle était habillée peut-être que ça aurait un impact, mais là tout ce que je vois c’est qu’elle est sublime, même agacé parce que je ne l’écoute pas.

    Elle revient jusqu’au canapé et enfile mon t-shirt qui traine par terre, comme le reste de nos vêtements.

     

    — Tu vas m’écouter à présent ?

     

    — Je suis tout ouïe, je réponds en la rejoignant près de la cafetière.

     

    — Tu veux qu’on aille voir le match avec ta famille ?

     

    — Oui, c’est ce que j’ai dit.

     

    Je me sers une tasse de café puis je m’appuie contre le meuble pour la regarder réfléchir derrière sa tasse.

     

    — Tu en connais une bonne partie déjà.

     

    — Mais pas tes parents.

     

    — Pas encore.

     

    Ça a l’air de la stresser l’idée de rencontrer mes parents. Pourtant ils vont l’adorer, ils vont aimer sa repartie et son sale caractère. Les O’Shea vont l’adopter rapidement, aussi vite que je me suis fait à elle.

     

    — Ils vont t’apprécier. Tu verras ils sont sympas, ne t’inquiète pas.

     

    — Kenan, je…

     

    — Je ne vais pas te forcer, mais je ne vais pas regarder le match à la télé, alors que je peux le voir en direct au stade.

     

    Eireen se met à rire en sortant du pain pour faire des toasts.

     

    — C’est ton meilleur argument ?

     

    — Non.

     

    Je pose ma tasse et tombe à genoux derrière elle, Eireen n’a pas le temps de régir que déjà mon visage plonge entre ses cuisses. Le voilà mon meilleur argument.

     

    ***

     

    On s’arrête au coin du bar, je suis le chargé de ravitaillement du clan O’Shea les jours de match. Eireen s’appuie sur le comptoir à mes côtés. Elle a mis mon maillot de l’équipe, bien trop grand pour elle et portant je trouve que ça lui va parfaitement bien. J’ai fini par la convaincre de m’accompagner, mon argument-choc a fait mouche lorsqu’elle a joui.

    Elle me coule un regard sombre, je souris en trouvant la situation excitante. La voir ici, au bar du stade entouré par pleins de gros bras irlandais qui parle fort et jure, elle petite blonde à qui on ne donnerait pas cinq minutes de servies dans un environnement hostile. Pourtant le plus fort n’est pas forcément celui qu’on croit.

    Je me rapproche d’elle, on attend que le pauvre serveur en termine avec tout un groupe. Elle est stressée et je me demande vraiment pourquoi.

     

    — Qu’est-ce qui t’inquiète autant ? Que l’Ulster perde ? Ça n’arrivera pas.

     

    Je plaisante, mais j’espère vraiment que notre équipe va vaincre cette fois-ci et maintenir sa place de second au tournoi irlandais.

    Je vois Eireen soupirer et passer les mains dans ses longs cheveux blonds détachés.

     

    — Je ne suis pas catholique Kenan.

     

    Je vois ce qui la préoccupe.

     

    — Tu comptes m’épouser ? je demande.

     

    — Non ! elle s’empresse de répondre.

     

    Étrangement le fait qu’elle me le dise avec autant d’assurance, comme si c’était impossible, me fait mal. Ça me vexe qu’elle n’imagine pas notre relation pouvoir aboutir à un mariage. On n’en est qu’à notre sixième rendez-vous, mais je pourrai citer des dizaines de couples qui n’ont pas été si loin avant de se fiancer.

    C’est surement stupide, mais ça me vexe de la sentir si réticente, après la grue, après cette nuit, après ces rendez-vous tous plus étranges les uns que les autres.

     

    — Alors ça ne posera pas de problème, je finis par dire.

     

    — Parce que si je comptais t’épouser ça en poserait un ?

     

    — Évidemment, Eireen.

     

    — Oui, évidemment où avais-je la tête !

     

    Son regard bleu me fusille et je ne comprends plus rien.

     

    — On est croyant et pratiquant dans ma famille. Il me renierait si j’épousais une femme qui n’est pas catholique.

     

    Au-delà de ma famille, c’est à l’IRA que je devrais rendre des comptes si je faisais ma vie avec autre chose qu’une catholique. J’ai été élevé ainsi, dans ma foi, dans mes idées et celle de l’Irlande que je défends au péril de ma vie ce n’est pas pour une femme que je remettrais tout en question.

     

    — C’est idiot, Kenan, quand je t’ai demandé si mon athéisme était un problème tu m’as dit que non.

     

    — Parce que ça ne l’est pas.

     

    Ça ne l’est pas tant que je ne tombe pas amoureux de toi, ça ne l’est pas si je n’envisage pas de faire de toi ma femme et la mère de mes enfants. Ça ne pose aucun problème si on s’amuse, si on n’investit pas nos cœurs et si on ne mêle pas les sentiments à notre histoire. On peut s’apprécier et se désirer, mais on ne peut pas s’aimer. Pas ici, pas en étant différent.

     

    — Ça ne l’est pas tant qu’il n’y a rien de sérieux, c’est ça ? Donc quand je vais rencontrer tes parents je vais être la fille que tu baises, mais pas celle avec qui tu peux envisager ta vie et certainement pas celle que tu vas trainer dans une église pour te passer la bague au doigt !

     

    Elle crie et les supporters présents au bar ont tous la tête tournée dans notre direction et aucun en rate notre conversation qui semble se changer en dispute. Or, cette dispute n’a pas lieu d’être puisqu’elle ne va pas m’épouser bordel !

     

    — Qu’est-ce que ça peut faire, puisque tu ne comptes pas m’épouser.

     

    — Il est là le problème Kenan ! Ça ne laisse aucun espoir de changer d’avis, d’envisager autre chose que…et puis c’est humiliant Bon Dieu !

     

    Je me retiens de rire en la voyant taper du pied, elle est en rogne et j’arrive à bander parce que le rouge qui lui monte aux joues et la façon dont son regard s’illumine m’excitent.

    Je la prends dans mes bras et la serre assez étroitement pour qu’elle sente à quel point elle me fait de l’effet, qu’elle soit athée ou catholique m’importe peu dans l’immédiat.

     

    — Il n’y a rien d’humiliant Eireen, tu es athée, tu n’es pas une cause perdue.

     

    Elle frappe ma poitrine de son poing en jurant que je vais le regretter. J’ignore comment, mais je sais qu’Eireen ne manque pas d’imagination.

     

    — S’ils te banchent sur la religion, ou la guerre ou la politique, change de sujet.

     

    — Pourquoi ? De ça aussi je dois avoir honte ?

     

    — Eireen…

     

    Elle se dégage de mes bras, l’air vraiment blessé cette fois et je me dis que je devrais surement mettre un peu d’eau dans mon vin et lui faire la place qu’elle mérite. Elle n’est pas un coup d’un soir avec qui je m’amuse, d’ailleurs je ne présente pas mes coups d’un soir à mes parents. Elle est une femme intéressante que j’ai envie d’intégrer à ma vie, mais je suis aussi réaliste sur notre histoire.

     

    — Certains membres de ma famille ont des idées bien arrêtées concernant tout ça et j’aime autant qu’on ne termine pas la journée en bagarre.

     

    — On peut discuter sans en venir aux mains.

     

    — Tu ne connais pas encore toute ma famille.

     

    Elle m’observe un instant et lorsqu’elle voit que je suis sérieux elle éclate de rire.

     

    — L’Irlande est un sujet très sérieux chez nous.

     

    — Désolée, dit-elle entre deux éclats de rire.

     

    Je la reprends dans mes bras, elle peut en rire, je préfère l’entendre se moquer de moi plutôt que de me crier dessus pour mon manque de tolérance.

     

    — Tu m’as dit être pacifiste, alors si c’est bien le cas, tu feras en sorte d’éviter un conflit inutile.

     

    Elle hoche la tête en riant toujours, j’embrasse son front puis sa bouche. Elle se calme lorsque notre baiser devient plus profond, plus ardent et que ma langue cherche la sienne. Les bras d’Eireen passe autour de mon cou son corps se rapproche du mien et nos lèvres ne se lâchent plus. Je perds le décor, je perds ce qui nous entoure tout comme hier soir, dans la grue. Je n’ai pas une bonne mémoire pour ce genre de connerie, de premier rendez-vous, mais avec Eireen je me souviendrai certainement de notre première fois à des dizaines de mètres du sol. Je voulais l’impressionner, je voulais être celui qui lui fait découvrir Belfast vue du ciel, et c’est moi qui ai été éblouie.

    Eireen me relâche et met fin notre baiser en me tendant un regard brûlant.

     

    — Je veux que tu saches, je reprends, que tu n’as pas à te sentir humiliée, je ne présente pas beaucoup de femmes à ma famille et quand je le fais, c’est que je suis bien avec elle. Ils ne vont pas te voir comme une fille avec qui je m’amuse Eireen, mais comme une femme qui est importante pour moi.

     

    Elle a repris son sérieux et la façon dont elle me regarde me met mal à l’aise. Comme si elle regrettait quelque chose. Je n’ai pas le temps d’essayer de comprendre, le serveur me demande ce qu’on veut et je commande 12 bières et quelques sodas pour les enfants.

    Il est rapide, quelques minutes plus tard on remonte le gradin avec chacun un plateau rempli dans mes mains pour rejoindre ma famille qui chante à tue-tête en gaélique.

    Dès qu’ils m’aperçoivent, ils viennent à ma rencontre pour prendre leurs verres, les plateaux se vident en deux secondes ce qui amuse Eireeen.

    Mon neveu Adam me fait signe de le rejoindre. Lui n’a pas pu venir me dépouiller et je lui apporte son soda. Il est installé sur un siège, les jambes recouvertes d’une couverture alors qu’il ne fait pourtant pas froid. Il fait même soleil aujourd’hui, un bon jour pour que l’Ulster massacre Leinster.

    J’embrasse mon neveu, sa mère n’est pas encore arrivée, elle doit finir vers 16h à la caisse du supermarché ou elle travaille. Mon père s’est chargé de le prendre en charge, on ne peut pas transporter son fauteuil dans le stade alors avec mes frères, ils le portent jusqu’ici.

    Adam sourit à Eireen qui s’assoie à ses côtés.

     

    — Eireen, je te présente Adam, l’ainé de mes neveux, le fils de ma sœur Clare qui n’est pas encore là.

     

    Adam tend la main et l’infirmière lui serre comme à un adulte. Adam est un peu timide lorsqu’il ne connait pas les personnes, mais Eireen le met directement à l’aise avec son sourire et en lui parlant rugby. J’assiste bouche bée à leur conversation sur les statistiques de l’Ulster et leur chance de gagner le match de cet après-midi.

    Adam finit par se tourner vers moi, son pouce levé pour me signifier qu’elle est géniale. L’infirmière se lève et je l’entraine pour la présenter au reste de ma famille.

    Je la regarde serrer des mains, faire des bises et être aussi à l’aise que possible sous les commentaires stupides de mes frères et les interrogations des membres féminins de ma famille. Elle est stupéfiante et je suis remplis de fierté qu’ils la découvrent ainsi.

    Eireen termine de les saluer et nous nous trouvons deux places entre Adam et mon frère Eoghan.

     

    — Je t’ai épaté O’Shea.

     

    — Totalement.

     

    — Ils sont plutôt accueillants, elle lance en remuant des épaules.

     

    Je me tourne vers mes parents assis derrière nous, ma mère me fait un clin d’œil et souris en désignant Eireen.

     

    — On en reparlera après le diner, je conclus.

     

    Les équipes entrent sur le terrain, Eireen me lance ce foutu regard de défi. Celui qui ne manque pas de me faire bander, et je l’imagine déjà à la table des O’Shea, tenir un débat avec Eoghan, répondre aux blagues stupides de Rory et tenir tête à ma sœur Clare qui ne manquera pas de lui trouver des défauts. Eireen est faite pour affronter les O’Shea, elle est faite pour les combats.

    Elle a l’âme d’une guerrière et l’esprit d’une pacifiste. Et je me demande en la regardant ce qu’elle penserait de moi si elle savait que je fais exploser des bombes, que mon combat n’a rien de pacifiste, qu’il ne se fait pas lors de ses marches qui ne servent à rien, mais que je prends les armes pour affirmer ma façon de vivre et ma liberté ? Qui prendrait le dessus, la combattante ou la pacifiste ? Je me le demande et en même temps je n’ai pas envie d’avoir la réponse. J’ai simplement envie qu’Eireen soit là, qu’on soit tous les deux ou lors de ces moments, mais la guerre je la garde pour moi.

  • Irish War, Chapitre 8

    CHAPITRE 8

    Eireen

     

    On m’a fait demander en urgence dans l’un des box isolés du service. Ma garde se termine dans une heure, et la journée a été mouvementée. Comme d’habitude, à croire que c’est la période, l’été, tout le monde déraille.

    C’est Cait qui m’a fait appeler, je ne l’ai pas croisé depuis une bonne heure déjà, j’étais occupée à bander les plais de deux imbéciles qui jouaient au skateboard en short.

    Je toque trois fois avant d’ouvrir. Il règne une ambiance étrange dans la salle, une tension palpable qui exprime m’inquiétude.

    Mon regard croise celui de Cait, elle se fige, comme surprise, mais très vite, elle se détend… en partie. Son masque professionnel demeure. Je tente de ne rien laisser transparaitre.

     

    — Eireen, lance ma meilleure amie.

     

    Mon prénom fait réagir l’autre personne dans le box, Delma, ma belle-sœur est ici. Elle me lance un regard en coin, c’est le doc de la famille, une brillante femme que j’ai connue ici, qui m’a formé, et qui a fini par se marier avec Declan. Elle est extraordinaire, c’est une femme volontaire et engagée, une féministe comme on en a rarement vu, tellement à l’opposé de mon frère qui en ait fou amoureux. Je l’admire, surtout dans ces moments tragiques, où elle n’hésite pas à prendre des risques pour une parfaite inconnue.

    Je remarque qu’elle essaie de faire une échographie à une patiente qui se tord de douleur. Une jeune fille qui ne doit pas avoir plus de seize ans.

     

    — Ça va aller, ma belle, la rassure Delma.

     

    Cait me fait signe de la suivre au fond du boxe. Je prends soin de fermer à clé derrière moi. Je remarque un dossier ouvert sur le plan de travail, les informations n’ont pas encore été remplies.

     

    — Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

     

    Cait me jette un regard, ce regard, celui que nous avons échangé plusieurs fois en découvrant les histoires tragiques des patientes de Delma.

     

    — La gamine n’avait pas les moyens d’aller à l’étranger ni de payer un médecin. Apparemment…

     

    Cait ne termine pas sa phrase, pas besoin, j’ai compris.

     

    — D’accord, je conclus.

     

    Ma collègue et amie m’informe de ce que Delma a trouvé. La jeune fille fait une infection, elle soupçonne que ça n’a pas marché.

    J’ai déjà connu ça. Je sais ce qu’il faut faire. La transparence et la protection. Je ne connais pas son histoire, mais si je me fis à l’expression dévastée de Cait, elle doit être dure, la vérité.

    Cait a rendez-vous, elle devait se libérer plus tôt. Elle s’excuse dix fois en m’indiquant ce qu’elle avait commencé à noter pour justifier la présence de la patiente.

     

    — Je vais te remplacer, ne t’en fais pas.

     

    Elle acquiesce en me remerciant. Cait serre ma main un peu trop fort avant de quitter la chambre isolée. Pendant que Delma termine l’examen,

     

    Combien de femmes j’ai accompagnées ici, combien de rendez-vous tardifs nous avons pris dans le cabinet privé de Delma, ou combien de femmes brisées avons-nous reçues en urgence parce qu’elles n’avaient pas les moyens de quitter le pays pour regagner l’Angleterre.

    C’est un secret bien gardé qu’il y a ici, des infirmières et deux médecins qui prennent en charge et pratiquent parfois cet acte illégal. Ma belle-sœur en fait partie, dans le plus grand secret. Même mon frère n’est pas au courant. Il n’y a que moi.

    Nous mettons notre carrière en danger, nous risquons des poursuites et une peine d’emprisonnement. La loi nord-irlandaise impose aux corps médicaux de dénoncer tous les médecins pratiquant des avortements illégaux et toutes les personnes aidant des femmes à avorter. L’accès aux soins est très compliqué, n’importe qui sait reconnaitre les signes, les femmes se mettent en danger, et n’hésitent pas à agir comme il y a trente ou quarante ans. Nous sommes en 1992, et nous sommes terriblement en retard sur les autres pays. L’apaisement du malheur des femmes ne devrait pas dépendre des idéaux d’une communauté. Chacun devrait être libre de choisir ou pas.

    Avorter en dehors de l’Irlande est illégal[1]. Avorter tout court l’est aussi[2].

     

    — Mademoiselle McNamara.

     

    Je rejoins Delma. Elle chuchote à mon oreille de dont elle a besoin.

     

    — Tu sais ce que tu as à faire.

     

    J’acquiesce.

    Je prends le risque. Parce que si un jour, quelqu’un que j’aimais se retrouvait dans cette situation, je voudrais qu’une personne comme moi puisse l’aider et taire son secret, celui qui pourrait l’amener en prison.

    Delma rassure la jeune fille, elle lui explique ce qu’il va se passer désormais.

     

    — Mes parents…

     

    — Personne ne saura pourquoi tu es ici, lui confirme Delma.

     

    — Je n’aurai jamais dû venir, mais je saignais tellement et ça faisait mal.

     

    J’ignore le pincement dans ma poitrine. Je me contente d’agir, tel un robot. Je note ce que j’ai l’habitude de noter. L’appendicite est fréquente avec Delma, surtout lorsqu’on doit réparer les erreurs d’autres femmes qui ont essayé d’aider, mais qui, dans un pays censé, ne devraient pas avoir à faire ce que le corps médical ne pratique pas. Ca devrait être à nous de faire ça. De les aider.

     

    ***

     

    Deux heures plus tard, je quitte la chambre, Delma tient toujours à s’assurer que sa patiente est en sécurité, et qu’elle va bien. Ma belle-sœur ne rentrera pas encore cette nuit chez elle. Mon frère non plus je présume.

    Je détache mon chignon réglementaire, j’ai l’impression d’être épuisée, physiquement et émotionnellement. Ces rencontres marquent nos journées. Je vais enfin pouvoir rentrer chez moi…

     

    — Eireen ?

     

    Je sors de mes pensées en croisant Aislinn, elle tient dans ses mains plusieurs kits de bandage.

     

    — Oui ?

     

    — Il y a quelqu’un pour toi à l’accueil, il t’attend depuis un moment et il est incroyablement bandant.

     

    Elle me lance un clin d’œil complice, la grande brune rit en partant rejoindre ses box, sa garde a commencé.

    Je me fige en jurant. Merde.

    Kenan.

    Notre rendez-vous, nous sommes vendredi soir et il m’a appelé hier en me disant qu’il venait me cherchait à l’hôpital si je n’étais pas chez moi à la sortie de son boulot.

    Je regarde ma montre, j’ai deux heures de retard effectivement.

    Quelle idiote.

    Je me presse de regagner l’accueil. Je le trouve accoudé contre un mur, en pleine discussion avec Juliet, la secrétaire qui visiblement, n’a pas pu rentrer chez elle encore.

    Comme s’il sentait mon regard sur lui, Kenan lève les yeux dans ma direction, un sourire se dessine sur ses traits masculins. Mon corps

     

    — Hé !

     

    — Je suis désolée, j’ai…

     

    Kenan me fait signe que mes excuses ne sont pas importantes. Cet homme est trop bien élevé.

     

    — Pas de problème, ta collègue m’a dit que tu avais eu une urgence.

     

    Un drame Kenan plus tôt, pour une femme. Une parmi tant d’autres.

    Je n’arrive pas à répondre, je dois afficher un air trop sérieux et inquiet.

     

    — Tout va bien ? s’inquiète-t-il à son tour.

     

    Comme une envie d’oublier cette triste journée.

     

    — J’ai terminé, je vais aller me changer et on pourra y aller ? je propose.

     

    Il saisit ma main pour l’embrasser, je sens le regard de Juliet sur nous, je crois que je vais avoir droit à une série de vannes lundi. Kenan se penche à mon oreille, son souffle chatouille mon cou.

     

    — Je trouve ça sexy de sortir avec une infirmière qui sauve des vies.

     

    Je souris tristement, Kenan me lance un clin d’œil et silencieusement, il me fait la promesse de trouver un moyen de me faire oublier ma dure journée.

    J’ai vraiment envie d’effacer cette journée, comme je ne dois pas oublier qu’une autre commence. Celle où j’enfile mon costume d’agent double et de briseuse de cœur pour dénicher des informations.

    Aujourd’hui, j’aurai juste aimé sortir avec un homme sans penser à autre chose qu’au flirt. Malheureusement, le devoir m’appelle.

     

    ***

     

    Par chance, j’avais prévu le coup en apportant mon sac pour le week-end avec moi au travail. L’invitation de Kenan était plus que compréhensible. Venir chez lui, un vendredi, en connaissant mon planning, c’est une proposition pour le petit déjeuner du samedi.

    Malheureusement, je pensais avoir un rencart dans un autre restaurant ou dans son appartement, ma tenue est totalement inappropriée vis-à-vis du lieu, mais ça m’amuse. Kenan est surprenant et ce n’était pas marqué dans ses dossiers. Il ne se contente pas d’une routine établie, non, il la bouscule, il me surprend et j’aime ça alors que je ne devrais pas aimer.

     

    — Où m’emmènes-tu au port ? je demande lorsqu’on s’éloigne des zones de contrôle.

     

    Évidemment, à cette heure-là, il n’y a personne pour surveiller. Kenan porte mon sac, sa main liée à la mienne, il m’entraine dans les rues sombres du port. On ne croise personne, même si on entend la présence des gars qui bossent.

     

    — Voir la plus belle vue de Belfast, me répond-il.

     

    Son sourire rempli de malice le rend vraiment beau. C’est déconcertant, et difficile de rappeler à mon cerveau de ne pas occulter qui il est vraiment. Nous n’avons toujours pas parlé de la guerre et si notre vadrouille en vélo jusqu’ici, nous aurais permis de le faire, je n’en avais pas le courage. Je voulais juste profiter du calme de Kenan.

     

    — La plus belle vue ? je rétorque, tu vas me faire monter sur un container ?

     

    Kenan se laisse aller à un rire. Il passe une main dans ses cheveux bruns en poursuivant notre marche.

     

    — Surprise.

     

    Bon sang, je commence à connaitre le spécimen, je me demande ce qu’il me réserve. Mais je le suis, quelque chose me dit que je ne vais pas le regretter.

    Dix minutes plus tard, je découvre sa surprise, mes yeux s’écarquillent, c’est quoi ce bordel ?

     

    — Une grue ? Tu veux me faire monter sur une grue ?

     

    Il rit de nouveau en acquiesçant. Kenan embrasse ma joue en me laissant déconcertée, mon regard ne quitte pas la bête devant nous.

    Cet irlandais est dingue !

    Est-ce que c’est légal ? Franchement, j’en doute mais… je souris. Il est fou et j’apprécie ça. Oublier le reste, pour ce moment. C’est le rendez-vous le plus étrange que je n’ai jamais eu.

    Mon regard dérive vers ma tenue, je ne change pas, dès que l’uniforme tombe, je troque le blanc pour des tenus plus… féminine. Jamais vulgaire, toujours dans la séduction et l’imagination. Sauf que ce soir, je suis en jupe et en chemise. Il n’y a que mes chaussures qui me sauvent la mise.

     

    — Est-ce que tu as le vertige ? m’interroge Kenan en revenant avec de l’équipement.

     

    — Non.

     

    Il défait un harnais de sécurité en souriant.

     

    — Bonne réponse.

     

    — Qu’est-ce que tu aurais fait si ça avait été le cas ? je le taquine.

     

    — Mon idée serait tombée à l’eau.

     

    On se laisse aller à un petit rire. Kenan me montre comment enfiler le harnais. Il me l’attache et fait de même avec le sien.

    Je commence à trouver son idée vraiment géniale, et une petite voix dans ma tête me murmure : s’il ne commençait pas à être mordu et séduit, serait-il ça ?

    Est-ce qu’il mord à l’hameçon ?

    Je chasse cette pensée.

     

    — Est-ce que tu vas avoir des ennuis ? je demande en me tournant pour lui faire face.

     

    Kenan m’offre un clin d’œil avant de se pencher pour m’embrasser furtivement. Un simple contact qui me fait un sacré effet.

    Je découvre plein de premières fois avec lui depuis que je joue les chasseuses d’informations pour l’UVF. Si je survis à cette mission, je pourrais tout faire, je présume.

     

    — Ça en vaut la peine. T’es déjà monté sur une échelle ?

     

    — Pour qui me prends-tu ? je le taquine.

     

    — Pour une infirmière sexy.

     

    — Je suis une superwoman aussi, je plaisante.

     

    Kenan acquiesce, ne voulant pas me contredire. Je le regarde, choquée de son comportement adorable. Merde, il est adorable et sexy quand il fait ça. Il m’entraine au pied de la grue, d’autres cordes nous attendent, Kenan nous attache. La sécurité avant tout.

     

    — La grue fait 58 mètres. Il y a quatre paliers pour souffler, on monte à ton rythme.

     

    — À mon rythme ? je déclare en haussant un sourcil.

     

    L’innocence ne lui va pas. Je suis en jupe, heureusement, elle n’est pas moulante, mais l’irlandais ne va pas manquer une miette du spectacle.

    Très intelligent de sa part, j’espère pour lui qu’il sait travailler sous pression.

     

    — J’ai mis une jupe, je lui fais remarquer.

     

    — C’est parfait.

     

    — Tu vas te déconcentrer.

     

    Kenan remet en place une mèche rebelle de ma tresse.

     

    — Je pourrais te surprendre.

     

    Est-ce une promesse pour plus tard ?

    En plaisantant, il me donne une petite tape sur les fesses pour me donner le départ, je rétorque en lui donnant un coup de poing dans l’épaule qui le fait jurer et rire.

    Je regarde la grue, le monstre de son quotidien et puis lentement, je commence à me hisser sur l’échelle avec sous moi, le regard brûlant d’un irlandais qui va en profiter pour se rincer l’œil.

     

    ***

     

    — N’est-ce pas la plus belle vue de la ville ? me demande Kenan en m’enlaçant par la taille.

     

    Je souris en acquiesçant, mes yeux n’en perdent pas une miette, la vue du port et au loin, de la ville est magnifique.

     

    — Ça doit être grandiose au coucher de soleil, je réponds.

     

    — Ça l’est.

     

    Depuis que nous sommes arrivés en haut de la grue, il règne une ambiance sexuelle des plus perceptible. Nos regards sont longs, les silences remplis de promesses et mon corps répond au sien. Quand il m’effleure, je frissonne, quand je le touche, Kenan se raidit, comme s’il tentait de contrôler son désir.

    Jamais je n’aurai cru monter sur une grue un jour.

     

    — T’as déjà piloté une grue ? me propose Kenan.

     

    — T’es sérieux ?

     

    Kenan acquiesce, il me fait signe de le suivre, je ne perds pas mon sourire, ce mec est un grand malade. Je fais attention où je mets les pieds, nous arrivons jusqu’à la cabine, Kenan détache nos harnais de sécurité, il déverrouille la porte, et l’ouvre.

     

    — Mon dieu, mais t’as les pieds dans le vide ! je déclare, surprise.

     

    Je constate que le sol est… vitré. Il y a une barre pour maintenir ses pieds pendant la manœuvre. Ainsi qu’une grille au sol. Kenan m’explique qu’heureusement qu’il voit le vide, pour déplacer de lourds objets, c’est préférable.

    Il s’installe sur le fauteuil avant de me faire signe de venir vers lui.

     

    — T’es dingue, je murmure.

     

    — Totalement, c’est ta faute ! J’ai compris qu’il fallait sortir des zones de confort.

     

    Pour me séduire ?

    Ça marche et dans d’autres circonstances, je me laisserai totalement aller. Je marche lentement, mon instinct me dictant de ne surtout pas faire ça. Kenan se fout royalement de ma gueule, il finit par m’attraper pour me déposer sur ses genoux.

    Je sens déjà naitre une érection dans son jean.

     

    — OK, on doit être discret, donc, on va juste la faire tourner lentement.

     

    Kenan place ses mains sur les commandes, je referme les miennes sur les siennes. L’irlandais enclenche le mécanisme et lentement, il fait bouger. Je sursaute, surprise, avant de me prendre au jeu. Je trouve ça génial. On reste quelques minutes à faire bouger sa grue. Kenan et moi partageons une petite connerie ensemble, un moment hors du temps où nous profitons de l’autre. Sa proximité ne me laisse pas indifférente, son souffle dans mon cou, sa voix à mon oreille, la chaleur de son torse contre mon dos.

    Une excitation s’installe, mon cœur bat vite, Kenan bande toujours contre mes fesses, un désir violent nait dans mon ventre.

    J’ai envie de lui.

    Je me surprends à le vouloir tellement fort, que ma respiration s’emballe.

    Kenan me laisse doucement bouger la grue, il abandonne la surveillance de mes gestes, il se concentre sur le désir palpable qui règne dans la cabine. Ses mains effleurent mes bras, il caresse ma peau, m’enflamme. Ses doigts ouvrent mon chemisier pourpre, je souris, il a de l’idée. Les boutons sautent un à un, mon haut s’ouvre à moitié, l’autre partie reste bloquée dans ma jambe. Une de ses mains dessine le contour de mon torse, avant de tracer les courbes de ma poitrine. Il effleure mes tétons à travers mon soutien-gorge, ses doigts s’immiscent sous la dentelle, Kenan les pince en mordillant mon épaule.

    La vague de chaleur, le picotement entre mes cuisses.

     

    — J’imagine ce que ça me ferait de glisser ma queue ici, m’avoue-t-il.

     

    Sa confession crue et soudaine me fait l’effet d’un coup de chaud. L’image de nos deux corps dans cette position gagne mon esprit. Mes seins servant de prison à sa queue. Sentir l’irlandais se masturber ainsi, me voir obtenir le pouvoir de son plaisir.

    L’idée m’excite. Bon sang, toutes les idées de Kenan à cet instant m’exciteraient.

    Son autre main se pose sur ma cuisse, un frisson me gagne à son contact. Mon cœur commence à s’emballer, mon ventre se noue sous l’excitation soudaine qui me percute. Je me demande s’il va oser aller jusqu’au bout de ses pensées, est-ce que sa main va aller effleurer mon sexe ? Est-ce qu’il sent l’affolement qui nait violemment en moi ? Je sens sa queue bandée contre mes fesses, sa respiration chatouiller mon cou, j’entendrai même son cœur battre si le mien ne tremblait pas si fort. L’irlandais a envie de moi, et j’ai terriblement envie de lui.

    Il n’est plus un ennemi, il est l’homme qui me fait faire des trucs fous et qui s’apprête à me caresser à 58 mètres du sol.

    Je ferme les yeux lorsque ses doigts remontent lentement le long de ma cuisse, cette lente caresse m’électrise, elle enflamme mon corps, alimente le feu entre mes jambes, celui qui me rend fébrile. Kenan a déclenché un incendie à la minute où nos corps se sont frôlés, et à la seconde où l’alchimie a décidé de nous entourer.

    Sa paume s’exerce toujours sur mon sein, il le caresse lentement, savourant la sensation, et les réactions. Je tente de ne pas me déconcentrer, mais plus sa main gravit le chemin entre mes cuisses, plus j’ai envie de le sentir là. Ma jupe remonte sous son passage, je respire plus vite, Kenan aussi. La tentation est proche, l’envie terrible.

    Sa bouche embrasse ma nuque, j’écarte les jambes pour lui faciliter le passage, mon corps ne m’obéit plus, il crève d’envie de succomber. Ses doigts ne sont plus qu’à un geste de mon sexe en feu.

    Les lèvres de Kenan embrassent mon cou, je frissonne de plus belle, mes mains resserrent les manettes de contrôle. Je résiste, je veux voir jusqu’où il compte aller.

    Je ne pense plus à la mission, je n’y ai plus pensé dès l’instant où Kenan m’a serré dans ses bras pour me montrer la plus belle vue de Belfast en nous faisant oublier que cinquante mètres plus bas, une guerre faisait rage.

     

    — J’ai envie de toi, murmure-t-il à mon oreille.

     

    Je déglutis avec difficulté, mon cœur bat vite, j’ignore depuis combien de temps, je n’ai pas ressenti ce frisson en présence d’un homme. Est-ce parce que je devrais me l’interdire ? Est-ce qu’en étant mon interdit, Kenan m’entraine dans une véritable chute libre ?

     

    — Comment ? je le provoque.

     

    — Comme ça.

     

    Ses doigts écartent ma petite culotte, l’air frais effleure mon entrejambe, je me mords la lèvre en nous imaginant. Dos à dos, mes cuisses écartées pour lui donner l’accès à l’objet de son désir, mes joues rouges sous l’excitation, mes vêtements à moitié relevés, sa main rompant la distance.

    Un gémissement étouffé m’échappe lorsque les doigts de Kenan trouvent mon intimité. Son pouce frôle mon clitoris, une vibration se répercute dans mon corps avant de m’enflammer. Sa main entame une danse folle, ses doigts sont partout. Kenan caresse mes chairs sensibles, testant les zones plus sensibles.

    Sa langue lèche mon cou, il suçote ma peau avant d’enfoncer ses doigts en moi, m’arrachant un petit cri de surprise et un spasme de plaisir.

    J’abandonne les manettes, immobilisant la grue, mon cerveau se déconnecte. Je rougis, la chaleur m’envahit avec force, j’écarte davantage les cuisses pour permettre à Kenan de bouger.

    Ses doigts me pénètrent lentement, ils jouent avec mon sexe, remontant vers mon clitoris qu’il presse et caresse en de lents cercles répétitifs. Je m’abandonne contre lui, profitant des sensations jouissives qui s’imposent dans mon corps. Kenan jure lorsqu’il sent mon sexe palpiter autour de ses phalanges.

     

    — Bordel, Eireen, t’as envie de ça aussi, murmure l’irlandais en mordillant mon oreille.

     

    Et même plus. Ce n’est pas sa main qui me fait envie, c’est le pieu qui se presse contre mes fesses. Mes mains me démangent, j’ai envie de le toucher, envie de voir son visage prendre une expression perdue dans le plaisir.

    La tension bouillonne dans mon sang, je craque face à la tentation. Je m’écarte de Kenan, me retourne pour le chevaucher. Ses mains terminent sur mes fesses pour me maintenir contre l’autre. Les miennes entourent son visage et sans attendre, ma bouche s’écrase contre la sienne avec ferveur. Nos lèvres se dévorent avec avidité, le contact de sa langue contre le mienne m’envoie des frissons. Kenan me frotte contre son érection, la sensation m’enflamme un peu plus. Notre baiser perdure, l’affolement augmente, la fièvre prend place dans le petit habitacle. Je me perds contre cette bouche qui me dévore, dans ce combat langoureux ou deux personnes cherchent à obtenir l’autre plus que tout. Mes doigts s’enfoncent dans ses cheveux bruns, je mordille ses lèvres, ma langue en trace les contours, Kenan jure en devenant plus sauvage. Je me surprends à vraiment aimer ça, à en vouloir plus.

    Il ne s’agit plus de séduction, mais de succomber par envie.

    Ses mains trouvent la fermeture éclair de ma jupe, j’entends le zip descendre. Ma chemise se relâche, Kenan rompt notre baiser pour laisser dériver sa bouche dans mon cou. Je ris, je suis légèrement chatouilleuse, et il le comprend vite. Kenan déboutonne les derniers cercles de mon haut, je le plaque contre le dossier du fauteuil, la chemise glisse le long de mes épaules et de mes bras. L’air frais me fait frissonner encore. Le regard de Kenan dérive sur ma poitrine à moitié découverte. Son visage s’enfouit entre, sa bouche trouve un de mes tétons qu’il suce. Ma tête bascule en arrière, des spasmes de plaisir naissent dans mon ventre, l’affolement devient plus intense.

    Je l’écarte encore, il sourit et c’est à mon tour de le déshabiller. Son t-shirt dégage en quelques secondes, je découvre son torse et les tatouages incrustés dessus.

    Mes doigts frôlent les dessins assemblés, son tatouage est magnifique, une grande pièce sur son flanc droit. Il y a une harpe celtique, un ensemble de trèfles, plusieurs triskells, un magnifique Claddagh, une croix celte entremêlée avec une carte de l’Irlande. Je repère un fer à cheval, mais aussi, le refrain de l’hymne national et des entrelacs celtiques. C’est vraiment beau et uniforme.

     

    — Tu as l’Irlande dans la peau, je chuchote à son oreille.

     

    Nos regards se croisent, dans la pénombre, j’arrive tout de même à distinguer la lueur brute de désir de Kenan. Son érection prend davantage de volume, la pression augmente, et mes mains agissent sans réfléchir. J’atteins son jean, Kenan agrippe ma jupe, je défais les fermetures, il me la retire en la faisant passer par en haut. Je me retrouve en sous-vêtements, Kenan laisse trainer ses mains calleuses sur ma peau. Il me bouffe du regard, et ces yeux, si intenses et expressifs me donnent une confiance immense. C’est la première fois que je ressens ça, j’ai déjà connu des hommes, ce n’est pas une première pour moi, de me retrouver ainsi avec un mec, mais être à ce point à l’aise, se sentir désiré avec autant d’intensité, c’est une grande première.

    J’embrasse son cou, ma main s’immisce dans son caleçon…

     

    — Si t’étais dans mon lit, Eireen…

     

    Il ne termine pas sa phrase, je saisis sa queue et la serre entre mes doigts. Kenan jure, son front s’appuie contre le mien, sa respiration se fait plus irrégulière. Je commence à le caresser, mon poing l’emprisonne, mon pouce effleure son gland. J’étale la petite goutte blanche en savourant le râle étouffé qui lui échappe.

     

    — Si j’étais dans ton lit ? je poursuis à sa place.

     

    Sa main agrippe mes fesses. J’accélère le rythme, sa queue bandée est imposante dans mon poing, j’en découvre les sensations, les veines en relief, le velours et la dureté. La chaleur envahit mon ventre à l’idée de sentir son érection se mouvoir en moi. Est-ce que j’aurai l’impression d’être totalement possédée ?

     

    — Je te plaquerai sur mon matelas, j’écarterai tes jambes pour enfouir ma tête entre tes cuisses. Je laisserai ma langue parcourir ton sexe, le découvrir. Je te rendrais folle, autant que tu me pousses à devenir fou à cet instant. Je gouterai ton excitation, je sentirai ton intimité palpiter autour de mes doigts, comme tout à l’heure. Je te lécherai jusqu’à ce que tu jouisses en soupirant mon prénom.

     

    Les paroles de Kenan m’enflamment, je me venge sur sa verge que je branle plus vite, l’irlandais se tend sous moi.

     

    — Mais je ne suis pas dans ton lit, je le provoque.

     

    — T’es quand même dans mes bras, et j’ai la possibilité de le faire plus tard.

     

    Je lui souris, le rouge marque mes joues. Mon pouce taquine son gland. J’embrasse sa joue, le coin de sa bouche, je le rends nerveux et ça marche. La tension qui émane de lui, promet une explosion divine.

     

    — T’es bien sûr de toi.

     

    Il me sourit à son tour, et c’est comme si à l’instant même, notre regard nous sert de défi. On dérape. Ses mains se font plus pressantes, elles retirent mon soutien-gorge, baissent son caleçon et son jean, libérant entièrement son érection.

    Kenan bouge des hanches pour obtenir davantage de friction, je souris en accompagnant ses gestes, l’atmosphère dans la cabine devient plus tendue, l’excitation s’impose, elle tournoie autour de nous, mettant à mal notre self-control. Au fur et à mesure que nos mains découvrent nos corps, le désir se fait plus intense et la retenue, moins forte.

     

    — Qu’est-ce que tu veux ? je chuchote à son oreille.

     

    — Toi, à cinquante mètres du sol.

     

    Sa main glisse entre nos deux corps, je me redresse sur mes genoux pour lui donner un accès plus facile, ses doigts écartent ma culotte, ils reviennent à la charge et ce simple contact me rend folle. Kenan teste mon humidité, il chuchote à mon oreille en me disant que je suis trempée. Je me mords la lèvre, sans doute que demain, se sera difficile pour moi d’accepter ce qu’il est en train de se produire, mais impossible de réfléchir. Impossible de me convaincre d’arrêter de lui dire quoi que ce soit d’autre si ce n’est « possède-moi ».

     

    — Qu’est-ce que tu veux, Eireen ? me demande Kenan en s’enfonçant légèrement en moi.

     

    — Te sentir en moi, maintenant.

     

    — Vas-y.

     

    Kenan m’appelle par un mot que je ne comprends pas, mais ça semble lui échapper. Perdu dans l’effervescence, je ne cherche pas à comprendre ni à penser, j’ai envie ça, envie de le sentir.

    Je me hisse de nouveau sur mes genoux, son jean se frotte contre mes cuisses nues, j’imagine l’image qu’on revoit, à moitié nue, à cinquante mètres du sol dans une cabine en verre. C’est excitant et à la fois dangereux. Mais personne ne nous verra.

    Je maintiens sa verge en place en m’appuyant sur son épaule. Lentement, je me laisse glisser sur sa queue. La pression de son gland entrant en moi me fait frissonner. Il s’impose, la sensation de possession me gagne. Mon sexe palpite autour de lui, l’accueillant avec facilité. Kenan presse mes fesses, il me laisse mener la danse, je descends lentement sur lui, j’apprécie la caresse brûlante et impose de son membre. Il s’enfonce en moi d’un coup de rein, mettant fin à cette torture douloureuse. Un petit cri m’échappe, je m’accroche à lui, nos visages l’un contre l’autre. Son souffle se mêle au mien, nos lèvres ne sont qu’à un geste, nos yeux ne se quittent pas. Et je me demande si mes pupilles expriment autant de plaisir que Kenan en ressent.

    Je ferme les yeux en appuyant mon front contre le sien. Ses mains caressent mon corps nue, mon cœur bat vite, mon intimité envahie l’emprisonne et ça faisait longtemps que je n’avais pas ressentie cette sensation d’être totalement posséder par quelqu’un. Kenan est en moi, je sens à quel point il me veut, et ce feu, il le ravive. J’ai envie de plus, envie que cette chaleur se propage avec force dans mon corps, je veux sentir le plaisir monter, avant d’exploser, grâce à lui, en l’ayant en moi.

     

    — Eireen… soupire-t-il lorsque l’attente se fait douloureuse.

     

    Je me redresse légèrement avant de m’empaler sur lui, mon bassin se met en mouvement, j’ondule contre lui. Sa verge ressort de mon sexe pour mieux y revenir. Nos peaux claquent l’une contre l’autre, il n’y a plus de lenteur, juste la frénésie qui prend le contrôle l’envie de jouir et d’obtenir tout de l’autre. Kenan m’aide, ses hanches bougent en rythme.

    À chaque coup de reins, des spasmes de plaisir alimente ce brasier dans mon ventre, de la sueur perle sur son front, sa respiration chatouille mon cou.

    Sa queue découvre la chaleur de mon intimité, elle glisse contre les parois sensibles de mon sexe, le frottement est délicieux.

    Je me laisse porter par l’ambiance, par le mouvement de nos hanches. La cadence est irrégulière, surprenante. L’intimité que nous partageons à cinquante mètres du sol fait vriller mon cœur et mon esprit. Kenan me plaque contre lui, il m’aide à bouger plus vite. Je monte et descends sur lui avec rapidité, son sexe vient heurter cette zone nerveuse qui me fait gémir.

    Les pénétrations se font de plus en plus pressantes, l’envie prend le pouvoir.

    Sa main trouve mon clitoris, il le taquine en me laissant mener la dernière danse. Nos corps s’emboitent à la perfection, nos gestes sont désaccordés, violents et pressants.

    Les instants passent, la passion s’intensifie, l’empalement de son érection en moi ravive le feu. Chaque caresse est un amas de sensations. Je murmure à son oreille à quel point j’aime ça, le sentir s’enfoncer en moi et me posséder.

    Et puis, en quelques secondes, notre étreinte prend un virage plus ardant. Je sens le plaisir s’infiltrer dangereusement. Mon intimité se referme autour de lui, Kenan jure, nos bouches se retrouvent, une dernière pénétration, une dernière caresse, et nous basculons. Je me fige, mes doigts tirent dans ses cheveux alors que l’orgasme me frappe. Un cri lent ressemblant à un gémissement profond résonne dans la cabine, je suffoque. L’explosion me fait perdre le fil de mes idées, des picotements délirants parcourent mon être, mon cœur bat tellement vite que respirer devient difficile. Kenan se raidit avant de jouir en moi en de longs jets chauds. Il mord mon épaule en agrippant mes fesses, l’irlandais tremble en laissant passer la vague. Elle a atteint cinquante-huit mètres, elle a tout dévasté, nos pensées, ma raison, notre contrôle, elle a amené le plaisir en nous faisant basculer dans l’inconscient. Dans cette dimension où seule l’attraction décide du moment.

     

    — Seigneur, tu me rends fou, m’avoue Kenan en respirant mon odeur. 

     

    On reprend nos esprits en nous étreignant, je découvre une forme de tendresse chez l’Irlandais. Il m’embrasse et me caresse comme si j’étais devenue une poupée de porcelaine, puis Kenan rompt notre union. Il quitte mon intimité, laissant un vibre étrange.

    Je sens un liquide chaud glisser à l’intérieur de ma cuisse, et soudain, je réalise. Mon cœur rate un battement, on ne s’est pas protégé. Je comprends l’erreur que j’ai faite. Pas celle de coucher avec Kenan, mais de ne pas avoir pensé à me protéger.

    Qu’est-ce que je viens de dire ?

    Kenan regarde dans la même direction que moi, il comprend mes pensées. Je l’entends jurer.

    Il se tourne, fouille dans une petite étagère avant d’en sortir des mouchoirs.

     

    — C’était la première fois, déclare l’irlandais sur un ton sérieux.

     

    La surprise me gagne lorsque je le vois essuyer ma peau des traces de son orgasme. Ce geste est… intime. D’habitude, les corps se déshabillent avec fougue, s’étreignent et se dévorent avec rage avant de tomber dans la pudeur une fois l’acte terminée. Pas avec Kenan.

     

    — Que ? je demande, la voix serrée.

     

    Il termine rapidement et fourre dans la poche de son jean les mouchoirs, comme pour faire disparaitre les preuves.

    Son regard croise le mien. J’essaie de masquer mon trouble.

    La gamine aux urgences revient hanter mon esprit. Je chasse cette triste pensée en espérant que ce dérapage ne conduise à rien.

    C’était la première fois que je me laissais emporter par la frénésie du sexe et de l’envie. Pas très sérieux pour une infirmière.

     

    — Que je m’envoie en l’air sans capote.

     

    Étrangement, je le crois. J’ai besoin de le croire.

    Je caresse son visage en soupirant.

     

    — On fera plus attention la prochaine fois, je réponds.

     

    Il m’embrasse avec fougue, cela me surprend. Cela ressemble à des excuses, mais je ne peux pas lui en vouloir, nous étions deux. Deux corps, deux esprits, on aurait dû contrôler cette envie pour penser à se protéger. J’espère seulement que cet écart ne nous mettra pas dans une situation compliquée. Il suffit d’une fois. Espérons que ça ne restera qu’un beau souvenir sans que cette fois-ci, soit cette fameuse fois.

    Kenan m’enlace, je reste blottie contre lui, contre son torse chaud et tatoué. Je souris en pensant à quel point, c’était dingue. Le port a une vue vertigineuse sur mon fessier, je viens de m’envoyer en l’air dans une cabine de grue. Une chose inimaginable avant Kenan O’Shea.

     

    — Tu m’emmènes chez toi ? Je ne vais pas avoir le courage de rentrer chez moi, je murmure en laissant mes doigts se promener sur sa peau.

     

    Kenan embrasse mon front en acquiesçant.

     

    — Je ne comptais pas te laisser t’échapper.

     

    Mon cœur rate un battement, est-ce que ça veut dire que le loup est enfin entré dans la bergerie. Est-ce qu’en cinq rendez-vous, l’alchimie vient de causer la perte du grand O’Shea ? Suis-je en bonne voie de dérober son cœur, comme lui a dérobé ce soir ma raison ?

    Je perds mon sourire, la réalité revient, Kenan ne semble pas le comprendre, mais moi je sais. Je ne dois pas oublier que l’homme qui me tient dans ses bras est un irlandais membre de l’IRA, nos deux camps sont ennemis.

    Je ne suis pas missionnée pour tomber amoureuse, dans notre histoire, il n’y aura qu’un seul cœur qui basculera pour l’autre, pas les deux.

    Et si je pense avoir signé l’arrêt de mort de mon règlement en couchant avec Kenan, je ne signerais pas celui de mon cœur.

    On me pardonnera d’avoir succombé à l’ennemi tant qu’il s’agit de la chair et pas des sentiments, certaines infiltrés féminines de l’UVF le font aussi.

    C’était ma première fois. Une que je n’oublierai pas.

     

     AMHELIIE

     

    [1] NDA : A partir du référendum de novembre 1992 et depuis le Treizième Amendement, il est légal d'avorter en dehors d'Irlande. (Irish War se déroule en Juillet 1992).

    [2] NDA : En Irlande, l’IVG n’est autorisée que depuis le mois de juillet 2013, et seulement si la vie de la personne enceinte est en danger, un risque qui doit être certifié par des médecins.